Premier mystère
douloureux : l'Agonie de Notre-Seigneur Jésus-Christ au Jardin
des Oliviers.
Fruit de ce mystère :
une plus grande contrition pour nos péchés.
otre-Seigneur,
après son ultime repas avec ses apôtres bien aimés, sentant que
l'heure terrible de sa Passion est toute proche, se retire à
Gethsémani pour prier son Père. Il fait sombre et froid au milieu
des arbres noirs du jardin ; tout est immobile et silencieux :
la nuit est déjà bien avancée. Pierre, Jacques et Jean, les
disciples qui l'ont accompagné jusqu'ici, se sont endormis dans le
bosquet obscur. Jésus est seul. Il est seul au cœur des ténèbres
et de l'angoisse. Lui qui voit distinctement l'horreur de ce que va
devoir supporter pour le genre humain sa pauvre chair d'homme, ne
trouve personne pour le consoler dans l'affliction de son âme. Tout
le calice redoutable de sa Passion lui est présent sous les yeux, et
à cette vue, son cœur mortel défaille. Mais Jésus, malgré
l'extrême dégoût que ressent sa nature humaine à approcher les
lèvres de cette coupe de douleur, considérant plutôt la volonté
de son Père et le salut des hommes, accepte par obéissance filiale
de la boire jusqu'à la lie.
Contemplons
Notre Sauveur dans sa suprême Agonie. Ne s'apprête-t-Il pas à nous
donner l'enseignement le plus puissant, quoique le plus effrayant, de
sa vie adorable ? Car sa Passion constitue tout un programme
d'éducation intérieure. Tous les secrets de la vie spirituelle sont
à Gethsémani et sur le Calvaire. Tous les moyens de réforme
personnelle sont visibles d'une manière éclatante au Golgotha.
Toute la vérité sur notre condition de pèlerin en marche vers la
Patrie éternelle est enclose dans le Vendredi-Saint. Alors ne
tardons pas : mettons-nous à l'école de notre bon Maître.
Apprenons de Lui que nous sommes sur cette terre dans un temps
d'angoisse et de tribulations, de peine et d'effort, de sacrifice et
de souffrance ; nous en faisons l'expérience tous les jours, et
le poids de notre marche, aujourd'hui, en est aussi un vibrant
rappel. Le Jardin de l'Agonie n'a rien de commun avec le premier
Jardin, celui d'Adam, fait tout de délices ; le Jardin de Jésus
est au contraire un jardin de supplices, où, selon l'Évangile,
Notre-Seigneur sue de grosses gouttes de sang. Image traumatisante
pour notre sensibilité, mais qui exprime de la manière la plus
saisissante l'angoisse du Sacré-Cœur devant la mort prochaine et
les tortures à subir. Pourquoi un tel exemple ? Quelle leçon
en tirer ? C'est un père chartreux qui nous la livre, en une
sentence admirable : «ce n'est qu'en nous faisant marcher
dans les traces sanglantes du Christ que l'action de la grâce
triomphera en nous»
Deuxième mystère douloureux : la Flagellation
de Notre-Seigneur.
Fruit de
ce mystère : la mortification de la chair.
otre-Seigneur,
couvert de coups et de crachats, sous la pression de la foule, est
emmené à l'écart pour être flagellé. Dieu Lui-même,
Jésus-Christ, est lié à une colonne comme un vulgaire faussaire,
comme le pire des brigands. Mais comme un agneau conduit à
l'abattoir, Il n'ouvre pas la bouche, et courbe l'échine face à ses
bourreaux. Lui qui est l'Innocence même va recevoir le châtiment
des criminels, celui qui nous était destiné pour nos péchés sans
nombre. Il se soumet, et par amour pour ses brebis les hommes
accepte de concentrer sur Lui la souffrance expiatrice. Pleuvent
alors les coups des soldats romains, innombrables, qui déchirent son
pauvre corps sanglant. Le Christ est presque battu à mort : sa
faiblesse sur le chemin du Calvaire et le peu de temps qu'il mettra à
mourir sur la Croix laissent deviner la cruauté des soldats romains,
qui le transformèrent en une plaie vivante.
Contemplons
Notre-Seigneur noyé dans la souffrance physique. Il aura tout vécu
parmi nous, commençant sa vie publique par la joie légère des
Noces de Cana, et terminant sa vie terrestre par les douleurs
affreuses de la Passion. Mais c'est surtout par cette dernière qu'Il
nous rejoint le plus complètement : Dieu descend Lui-même
chercher l'homme assis dans l'ombre de la mort ; Il ne dédaigne
pas de partager avec lui le pain de la souffrance, son véritable
pain quotidien depuis la Chute. Oui, Dieu a vécu tout ce que nous
vivons, hormis le péché. Dieu souffre avec nous, Dieu souffre par
nous, Dieu souffre pour nous. En sanctifiant par sa propre expérience
la souffrance humaine, Il la revêt d'une valeur infinie, d'un sens
éternel. Si Dieu a souffert, c'est que la souffrance n'est pas
vaine : elle a un sens et un prix. Parfois ce sens nous échappe
ou nous révolte, mais il ne laisse pas d'exister. Jésus nous
enseigne par son exemple que la souffrance a deux raisons
générales : elle est soit un châtiment, soit une épreuve ;
et le plus souvent les deux en même temps. La souffrance est donc un
moyen de retour vers Dieu par l'expiation de nos péchés et la
preuve pratique que nous l'aimons, et c'est en cela qu'elle est
précieuse. Oui, la souffrance est précieuse, et c'est même un
privilège de notre nature humain, que ne connaissent pas les anges :
nous avons le privilège de pouvoir souffrir pour Dieu. L'idée est
forte, la proposition est peut-être choquante de prime abord, mais
cette vérité explique entre autres que nous soyons destinés à une
gloire immense en Paradis, supérieure à celle des anges. Aussi, ce
que nous avons à faire, c'est d'unir toutes nos peines quotidiennes
avec celles de Jésus et d'offrir à Dieu toutes nos épreuves avec
amour et abandon. Que les fatigues de la marche, l'ardeur du soleil
ou nos pieds échauffés soient pour nous, pendant ce pèlerinage, le
moyen de rejoindre Jésus dans sa Passion, et de montrer
concrètement, par nos ampoules et nos courbatures, que nous l'aimons
par-dessus tout. Quelle preuve d'amour supérieure à celle-ci ?
Troisième
mystère douloureux : le Couronnement d'épines.
Fruit de ce mystère :
la mortification de l'orgueil.
otre-Seigneur
est traîné dans le prétoire, presque mort. Là les soldats romains
s'assemblent autour de Lui. Ayant entendu de Jésus qu'Il est appelé
le roi des Juifs, ils imaginent une mise en scène outrageuse pour se
moquer de Lui. Voilà qu'on apporte un vieux manteau de pourpre,
symbole du pouvoir, et qu'on le pose sur les épaules lacérées du
Christ. Voilà qu'on lui met dans la main un roseau en guise de
sceptre impérial. Enfin, les soldats tressent une couronne d'épines
et la lui enfoncent sur la tête, perçant son front sacré de
blessures supplémentaires. Ça y est, le roi a tous ses attributs,
et les soldats se mettent à courber le genoux devant lui en
s’esclaffant, jouant la déférence par dérision, crachant sur
Lui, l'insultant. Après avoir bien ri, les soldats ramènent le
captif à Pilate qui le présente au peuple : « Ecce Homo !
»
Chrétien,
contemple ton Roi qui s'avance devant toi ! Il n'est pas d'abord
le Roi de gloire que tu as appris à adorer au Ciel, mais un Roi de
douleur sur la Terre, couronné d'épines, couvert d'un manteau
humide de sang, et muni d'un pauvre sceptre en roseau. Considère-Le
tout entier livré à l'opprobre de l'univers, d'abord souffleté par
les juifs, puis outragé par les Romains. Voilà ton Roi, chrétien,
qui pour l'amour de toi à bien voulu, tout Dieu qu'Il est, subir
l'humiliation publique, être traité comme un scélérat, et voir sa
royauté insultée. Lui qui est est Dieu, l'Infini, le Verbe éternel,
le Tout-Puissant, l'Être suprême, le Parfait, le Démiurge, le
Médiateur, le Souverain de l'Univers, l'Auteur de la Vie, le
Suzerain des Astres, le Maître de la Terre, le Premier Né, le Juge
du monde, l'Oint du Seigneur, le Roi de la Création, est moqué par
tous, réduit à l'état de prisonnier, plus mal traité que l'infâme
Barabas. Quelles leçons d'humilité ne retirera-tu pas, chrétien,
de voir ton Roi dans pareil abaissement ? Lui qui est la Majesté
en personne est descendu de son Trône éternel pour prendre sur son
corps toute ta misère. Contemple sa chair retournée par les impacts
de fouets garnis de balles de plomb et de fragments d'os tranchants ;
tu peux y lire tous tes péchés, écrits en caractère de sang sur
son Corps sacré. N'oublies jamais, chrétien, que si tu avais été
seul au monde, ce bon Roi serait descendu tout pareil pour subir la
même Passion et te sauver par son humiliation. Contemple son front
ouvert qui ruisselle de douleur ; tu peux y lire combien Jésus
t'aime, d'un Amour digne de Lui : inconditionnel, oblatif,
absolu. Quelles leçons d'humilité ne retirera-tu pas, chrétien, de
voir ton Roi pour toi déposer sa couronne d'or pour ceindre celle
d'épines ?
Quatrième mystère douloureux : le Portement de
la Croix.
Fruit de
ce mystère : la patience dans les épreuves.
otre-Seigneur
vient d'être condamné à mort ; Pilate, par crainte du peuple,
livre Jésus à la foule et se range à son souhait : le faire
crucifier. La flagellation, l'humiliation, la torture, cela ne suffit
pas aux juifs : ils veulent voir le Christ pendu à une croix et
qu'Il y meure comme le dernier des hors-la-loi. Le Christ doit porter
l'instrument de sa mort, cette croix si lourde, si grande, jusqu'au
lieu d'exécution. Il est épuisé, blessé, tourmenté par la soif,
mais au moment de se charger du bois redoutable, Il pense à toutes
ses brebis, à toutes les chères brebis de son troupeau, qui pour
être sauvées doivent être rachetées par cette Croix ; alors,
puisant dans ses dernières forces, il embrasse l'instrument de son
supplice et le hisse sur ses épaules sanglantes. On prend donc le
chemin du Calvaire. Le Christ se traîne péniblement à travers
Jérusalem, à travers une foule déchaînées qui lui jette des
pierres, l'injurie, le frappe ; les soldats romains, impatients,
lui assènent des coups de fouet pour qu'Il avance plus vite. Jésus
n'a plus de force, Il titube, Il s'arrête, Il tombe ; une fois,
deux fois, trois fois. Le Christ ne peut plus avancer ; il gît
par terre, incapable de se relever sous la Croix qui l'écrase. Alors
on force un homme, Simon de Cyrène , à l'aider, quoiqu'il se montre
réticent d'approcher un condamné à mort. Le cortège se remet en
marche. On passe la porte de Jérusalem, et après une dure montée,
on atteint enfin le sommet du Golgotha.
Contemplons
Notre-Seigneur porter sa croix, concentré sur son ultime effort,
allant au bout de ses forces, tombant mais se relevant toujours,
jusqu'à ce que son corps le trahisse complètement. Jésus met en
pratique, pour l'exemple de toutes les générations, cette sentence
radicale qu'Il prononça un jour : «
Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut
pas être mon disciple » . Si donc nous
voulons être les disciples du bon Maître, nous devons le suivre
courageusement avec nos croix personnelles, et nous en avons tous.
Inutile de s'inventer des croix, chacun en trouvera bien assez à
porter dans sa propre existence, aujourd'hui ou demain, car nulle vie
ici-bas n'est exempte d'épreuves : telle est notre condition de
créature déchue. Ne soyons pas comme Simon de Cyrène, qui refusa
d'abord de porter la Croix avec Jésus ; soyons plutôt comme
sainte Véronique, qui se tint près du Christ et essuya avec
compassion son visage plein d'entailles, de sueur et de sang. Le
Chemin de Croix est la parfaite figure de notre vie terrestre et
spirituelle: nous apprenons par lui la nécessité de se relever
toujours. Le plus grand effort n'est pas de ne pas tomber, mais de se relever
infailliblement et de progresser sans cesse, patiemment, pour
atteindre la fin. Profitons donc ce pèlerinage pour nous unir
concrètement à Jésus portant sa Croix : goûtons avec Lui à
la longueur du trajet, à la difficulté de la marche, à la morsure
du soleil, à l'ardeur de la soif. Relevons-nous des haltes trop
courtes du pèlerinage comme Jésus se releva sous la Croix.
Apprenons la patience dans les épreuves par la patience de la
marche. Le chemin est pénible, mais c'est Dieu qui nous attend au
bout.
Cinquième mystère douloureux : la Crucifixion
de Notre-Seigneur Jésus-Christ et sa Mort sur la Croix.
Fruit de
ce mystère : un plus grand amour envers Dieu et les âmes.
otre-Seigneur
est arrivé au sommet du Golgotha ; Il a les épaules écrasées,
le corps déchiré, le front sanglant ; Il est épuisé par la
marche, par la souffrance, par la chaleur, par la soif... Pourtant
les tortures ne sont pas finies, et reste à affronter la pire
de toutes. Les soldats romains se saisissent de Jésus, lui enlèvent
sa tunique trempée de sang et l'étendent sur la Croix, où ils le
fixent en lui enfonçant d'énormes clous dans les mains et dans les
pieds, avant de dresser aux yeux du monde le gibet d'infamie sur
lequel le Fils de Dieu pend lamentablement. La foule des juifs
continue de rire ; les pharisiens le raillent, les soldats
romains jouent aux dés et boivent... Jésus, du haut de sa Croix,
est seul, seul en face de l'insupportable douleur, seul face au monde
à racheter. Les bras tendus en hauteur, tétanisés par cette
cruelle position, le Christ a du mal à respirer, et doit s'appuyer
sur les clous de ses pieds pour ne pas s'étouffer. Après trois
heures de souffrances atroces, vers la neuvième heure, le Christ
émet un dernier cri de douleur et de détresse, d'abandon et de
tristesse, d'angoisse et d'agonie, puis lentement incline la tête et
rend son dernier soupir. Tout est accompli. Le Christ est mort. Un
silence horrible se fait dans sa divine poitrine : son cœur,
son divin cœur, son Sacré-Cœur a cessé de battre ; le sang
se circule plus ; le froid de la mort s'empare de Lui. Alors
soudain le ciel s'obscurcit, la terre tremble, l'univers entier est
en deuil... On décroche Jésus de la Croix et on le rend à sa Mère.
Qui donc pourra décrire le visage de la Vierge, consumé par le
chagrin, les yeux brûlés de pleurs, le teint livide d'affliction ?
Qui donc pourra rendre les plaintes de Madeleine, effondrée aux
pieds du cadavre silencieux de Jésus, ou la détresse de saint Jean,
le disciple bien-aimé du Christ ? C'est dans une fin
d'après-midi sombre et terrible que l'on emporte la pauvre dépouille
de Jésus vers un tombeau neuf, où sa Mère l'y dépose de ses
propres mains. La pierre est roulée : désormais celui qui est
la Vie dort du sommeil de la mort dans ce caveau solitaire, attendant
de se relever glorieux et vainqueur le matin de Pâques.
«
Dieu s'est anéanti jusqu'à la chair,
jusqu'à la mort, jusqu'à la croix : qui appréciera à sa juste
valeur ce que fut l'humilité, la douceur, la générosité du
Seigneur en revêtant la chair, en étant condamné à mort, en étant
soumis à la honte de la croix ? « Mais, dira-t-on, le Créateur
n'aurait-il pas pu réparer son œuvre sans que ce soit si difficile
? » Il aurait pu, mais il a préféré le faire à ses dépens, pour
que le vice détestable et odieux de l'ingratitude n'en prenne pas
occasion pour s'introduire en l'homme. Oui, il a assumé de grands
travaux, et par là l'homme lui devrait un grand amour, la difficulté
de la rédemption éveillant en lui une action de grâce que la
facilité de la création n'avait guère suscité. Que disait, en
effet, l'homme ingrat, de sa création ? « J'ai été créé
gratuitement, et cela n'a coûté ni travail, ni fatigue, à mon
créateur : il lui a suffi d'ouvrir la bouche pour que je sois, comme
pour tout ce qui est. » Et l'homme s'en est fait une excuse pour ses
péchés.
Mais
maintenant, ce que tu as coûté à Dieu est plus clair que le jour,
ô homme ! Il n'a pas dédaigné, lui, le Seigneur, de se faire
esclave ; lui, le riche, de se faire pauvre ; lui, le Verbe, de se
faire chair ; lui, le Fils de Dieu, de se faire fils de l'homme.
Rappelle-toi donc que s'il t'a fait de rien, il ne t'a pas racheté
pour rien. »
S. Bernard,
sermon 11 sur le Cantique des cantiques.