vendredi 12 avril 2013

Terre natale




Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père,
La salle où résonnait sa voix mâle et sévère
Quand les pasteurs, assis sur leurs socs renversés
Lui comptaient les sillons pour chaque heure tracés...
Voilà la place vide où ma mère à toute heure,
Au plus léger soupir sortait de sa demeure,
Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain,
Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim...
Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore
Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore,
Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur
Offrir deux purs encens, innocence et bonheur !
Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les près, dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,
Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil où, dans les jours d'autone,
Je venais, sur la pierre assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards...
Mais, hélas ! l'heure baisse et va s'évanouir !
La vie a dispersé, comme l'épi sur l'aire,
Loin du champs paternel les enfants et la mère, 
Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts
D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers !







Bientôt peut-être... Écarte, ô mon Dieu, ce présage !
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra l'or à la main, s'emparer de ces lieux
Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux,
Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes
S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts,
Et qui ne savent plus où se poser après !
Ne permets pas, Seigneur, ce deuil et cet outrage !
Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage
Passe de main en main traqué contre un vil prix,
Comme le toit du vice ou le champ des proscrits !
Qu'un avide étranger vienne d'un pied superbe
Fouler l'humble sillon de nos berceaux sur l'herbe,
Dépouiller l'orphelin, grossir, compter son or
Aux lieux où l'indigence avait seule un trésor,
Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques
Où ma mère à nos voix enseignait tes cantiques !

Lamartine

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