mardi 26 juin 2012

Fragments romantiques




e suis peut-être le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existé. Vingt fois, depuis cette époque, j'ai fait la même observation ; vingt foi des sociétés se sont formées et dissoutes autour de moi. Cette impossibilité de durée et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'étend de là sur notre maison, me ramènent sans cesse à la nécessité de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fièvre de la mort. Ah ! qu'elle ne nous soit pas trop chère ! car comment abandonner sans désespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir éternellement sur son cœur ? » Chateaubriand, Mémoires de ma vie.

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     « Mais ce qu'il faut admirer en Bretagne, c'est la lune se levant sur la terre et se couchant sur la mer. 
Établie par Dieu gouvernante de l'abîme, la lune a ses nuages, ses vapeurs, ses rayons, ses ombres portées comme le soleil ; mais comme lui, elle ne se retire pas solitaire ; un cortège d'étoiles l'accompagne. A mesure que sur mon rivage natal elle descend au bout du ciel, elle accroît son silence qu'elle communique à la mer ; bientôt elle tombe à l'horizon, l'intersecte, ne montre plus que la moitié de son front qui s'assoupit, s'incline et disparaît dans la molle intumescence des vagues. Les astres voisins de leur reine, avant de plonger à sa suite, semblent s'arrêter, suspendus à la cime des flots. La lune n'est pas plus tôt couchée, qu'un souffle venant du large brise l'image des constellations, comme on éteint les flambeaux après une solennité. » Mémoires d'Outre-Tombe, livre I.


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     « Le vrai bonheur coûte peu ; s'il est cher, il n'est pas d'une bonne espèce. » Mémoires, I.

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     « Dans la vie pesée à son poids léger, aunée à sa courte mesure, dégagée de toute piperie, il n'est que deux choses vraies : la religion avec l'intelligence, l'amour avec la jeunesse, c'est-à-dire l'avenir avec le présent : le reste n'en vaut pas la peine. » Mémoires, IV.

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     « Notre existence est d'une telle fuite, que si nous n'écrivons pas le soir l'événement du matin, le travail nous encombre et nous n'avons plus le temps de le mettre à jour. Cela ne nous empêche pas de gaspiller nos années, de jeter au vent ces heures qui sont pour l'homme les semences de l'éternité. » Mémoires, IV.

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     « Mes seuls bons moments étaient ceux où je m'allais promener dans le cimetière de l'église du hameau, bâtie sur un tertre. Mes compagnons étaient les morts, quelques oiseaux et le soleil qui se couchait. » Mémoires, V.

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     « Religion à part, le bonheur est de s'ignorer et d'arriver à la mort sans avoir senti la vie. » Mémoire, V.

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     « Le cynisme des mœurs ramène dans la société, en annihilant le sens moral, une sorte de barbares ; ces barbares de la civilisation, propres à détruire comme les Goths, n'ont pas la puissance de fonder comme eux : ceux-ci étaient les énormes enfants d'une nature vierge ; ceux-là [ les révolutionnaires, ndlr ] sont les avortons monstrueux d'une nature dépravée. » Mémoires, V.

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Au ciel elle a rendu sa vie,
Et doucement s'est endormie,
Sans murmures contre ses lois :
Ainsi le sourire s'efface,
Ainsi meurt sans laisser de trace
Le chant d'un oiseau dans les bois.

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     « Tout cela est fort indifférent au terme de la route : quelle que soit la diversité des chemins, les voyageurs arrivent au commun rendez-vous; ils y parviennent tous également fatigués ; car ici-bas, depuis le commencement jusqu'à la fin de la course, on ne s'assied pas une seule fois pour se reposer : comme les Juifs au festin de la Pâque, on assiste au banquet de la vie à la hâte, debout, les reins ceints d'une corde, les souliers aux pieds et le bâton à la main. » Introduction du Voyage en Amérique (1817).

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     « Le temps emporte et sépare les voyageurs sur la terre, plus promptement encore que le vent ne les emporte et ne les sépare sur l'océan ; on se fait un signe de loin : Adieu, va ! Le port commun est l'Éternité. » Mémoires, VI.

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     « Jamais Dieu ne m'a plus troublé de sa grandeur que dans ces nuits où j'avais l'immensité sur ma tête et l'immensité sous mes pieds. » Chateaubriand à propos de son séjour sur le bateau devant le mener en Amérique.

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     « Les vieillards d'autrefois étaient moins malheureux et moins isolés que ceux d'aujourd'hui : si, en demeurant sur la terre, ils avaient perdu leurs amis, peu de chose du reste avait changé autour d'eux : étrangers à la jeunesse, ils ne l'étaient pas à la société : Maintenant, un traînard dans ce monde a non seulement vu mourir les hommes, mais il a aussi vu mourir les idées : principes, mœurs, goûts, plaisirs, peines, sentiments, rien ne ressemble à ce qu'il a connu. Il est d'une race différente de l'espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours. » Mémoires, IX.

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     « Tous, tant que nous sommes, nous n'avons à nous que la minute présente ; celle qui la suite est à Dieu ; il y a toujours deux chances pour ne pas retrouver l'ami que l'on quitte : notre mort ou la sienne. Combien d'hommes n'ont jamais remonté l'escalier qu'ils avaient descendus ? » Mémoires, X.

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      « La chose est assez rare, car dans le cœur humain, les plaisirs ne gardent pas entre eux les relations que les chagrins y conservent : les joies nouvelles ne sont point printaner les anciennes joies, mais les douleurs récentes font reverdir les vieilles douleurs. » Mémoires, X.

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     « Lecteur, que je ne connaîtrai jamais, rien n'est demeuré : il ne reste de moi que ce que je suis entre les mains du Dieu vivant qui m'a jugé. » Mémoires, III.

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     « Si les combats avaient lieu à l'aube, il arrivait que l'hymne de l'alouette succédait au bruit de la mousqueterie, tandis que les canons qui ne tiraient plus, nous regardaient bouche béante silencieusement par les embrasures. Le chant de l'oiseau, en rappelant les souvenirs de la vie pastorale, semblait faire un reproche aux hommes. Il en était de même lorsque je rencontrais quelques tués parmi des champs de luzerne en fleur, ou au bord d'un courant d'eau qui baignait la chevelure de ces morts. Dans les bois, à quelques pas des violences de la guerre, je trouvais de petites statues des saints et de la Vierge. Un chevrier, un pâtre, un mendiant portant besace, agenouillés devant ces pacificateurs, disaient leur chapelet au bruit lointain du canon. Toute une commune vint une fois avec son pasteur offrir des bouquets au patron d'une paroisse voisine dont l'image demeurait dans une futaie, en face d'une fontaine. Le curé était aveugle, soldat de la milice de Dieu, il avait perdu la vue dans les bonnes œuvres, comme un grenadiers sur le champ de bataille. Le vicaire donnait la communion pour son curé, parce que celui-ci n'aurait pu déposer la sainte hostie sur les lèvres des communiants. Pendant cette cérémonie, et du sein de la nuit, il bénissait la lumière ! » Mémoires, IX.

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