samedi 5 mai 2012

Le légitimisme ultramontain

Tentative de définition et histoire du légitimisme au XIXe siècle.
d'après la notice de Hélène BECQUET du Dictionnaire de la contre-révolution paru chez Perrin.

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i le terme « légitimiste » a pu être employé avant 1830 pour parler des ultraroyalistes, il désigne de manière exclusive après cette date les partisans de la branche aînée des Bourbons qui refusent de reconnaître le régime né de la révolution de Juillet.

Le légitimisme est d'abord une fidélité dynastique qui repose sur la croyance en l'indissolubilité des liens entre la France et les rois. Le roi légitime est à la fois incarnation de la France et de son histoire et sauveur du pays, guide providentiel. Héritier d'une longue dynastie de souverains qui ont fait la grandeur de la France, il est le seul, de par son mandat sacré, à pouvoir maintenir le pays dans la prospérité et à y garantir l'ordre social et la place de la religion. Instrument privilégié de la Providence divine, il expie les fautes des Français révoltés contre Dieu en Lui faisait le sacrifice de son existence. Le roi légitime est un nouveau Christ, oint comme lui, dont le retour doit sauver la France de l'ornière révolutionnaire. Les légitimistes vouent par conséquent une fidélité sans faille à la famille royale. A l'époque d'Henri V, de nombreux portraits des princes, surtout ceux du comte de Chambord, circulent et sont gardés comme autant d'images pieuses. L'attachement à la dynastie légitime constitue donc l'essence du légitimisme. A la mort du comte de Chambord, en 1883, c'est la branche des Bourbons d'Espagne qui devient la prétendante légitime au trône de France. Ce qu'on appelle légitimisme après 1883 est logiquement fort différent de ce qui précède. Le terme de légitimité change de sens. Les nouveaux légitimistes sont ceux qui soutiennent la stricte application de la loi de dévolution de la couronne, question qui, jusque-là, n'était pas apparue au premier plan, et se rangent derrière le candidat de la branche des Bourbons d'Espagne.

Une culture politique sentimentale.

      La fidélité dynastique préexiste donc à la politique. Le légitimisme ne repose pas d'abord sur un corps de doctrine. Il n'existe ainsi aucun théoricien du légitimisme, malgré le grand nombre de publicistes, journaliste et écrivains de talent,comme Chateaubriand, que compte la mouvance. Maistre et Bonald demeurent les maîtres à penser du mouvement pendant toute la période. En fait, l'unité du légitimiste se fait davantage autour d'une culture politique intrinsèquement contre-révolutionnaire qu'autour d'un programme politique précis. C'est pour cette raison que les légitimistes ne militent...

      La culture politique légitimiste est d'abord fondée sur le refus de l'individualisme né de la Révolution. Cela se traduit, sur le plan social, par l'importance accordée à la famille et aux formes associatives regardées comme la base d'une société bien ordonnée. Elle est également le refus du rationalisme des Lumières. Le catholicisme y tient ainsi une place essentielle. L'Église doit panser les plaies nées d'une société égoïste, assurer la cohésion sociale en plus de sauver les âmes. L'imbrication des causes légitimiste et catholique s'accroît au fil du XIXe siècle : le développement du culte du Sacré-Cœur en est une des manifestations éclatantes. Le refus du philosophisme glacé du XVIIIe siècle développe aussi chez les légitimistes le goût du sentiment et des larmes. Être légitimiste, c'est être un homme sensible qui peut s'émouvoir du sort des autres, à commencer par celui de la famille royale. Enfin, le légitimisme est tourné vers le passé. Le Moyen-Âge est un âge d'or dont on s'efforce de retrouver les mœurs chevaleresques. Le goût des ruines évocatrices des temps anciens nourrit la nostalgie et la mélancolie des légitimistes qui se regardent souvent comme des exilés dans leur époque. Cette alliance entre antirationalisme, refus du présent et quête perpétuelle d'un idéal sociopolitique fait de la culture politique légitimiste un romantisme.

Forces et faiblesses du légitimisme.

      Les forces du légitimisme sont difficilement mesurables. La mouvance est particulièrement bien implantée dans l'Ouest, des pays de la Loire jusqu'à la Bretagne, dans le Nord, le Massif central, le Languedoc et la Provence. Dans ces régions, le légitimisme n'est pas seulement nobiliaire ou « notabiliaire », mais a de fortes bases populaires, impossibles à chiffrer. Au niveau national, le nombre de députés élus et les tirages de la presse sont les seuls indicateurs dont on dispose. Durant la monarchie de Juillet, les légitimistes tiennent entre 16 et 28 sièges. Pratiquement absents pendant le Second Empire, ils ont près de 200 élus en 1871, avant d'osciller entre 30 et 40 à la fin de la période. La tendance est donc à la stabilité du point de vue de la représentation, le légitimisme ayant été une sorte de « valeur refuge » après la défaite contre la Prusse. On constate un phénomène semblable en ce qui concerne la presse. Bien pourvue en nombre de titres mais connaissant des tirages modestes au début de la monarchie de Juillet (15 000 exemplaires au maximum tous titres confondus à Paris), elle connaît une augmentation après 1850 grâce, entre autres, au ralliement des ultramontains au légitimisme. A Paris, à la fin de l'Empire, elle tire plus que la presse gouvernementale. Le légitimisme est donc une mouvance politique dont le poids est loin d'être négligeable au XIXe siècle.

      Ce n'est en effet pas le moindre des paradoxes du mouvement que d'être, par essence, hostile à la politique des partis tout en ayant créé une structure fort proche, dans son organisation, des partis politiques modernes. En dessous du prince, qui est, au moins en principe, la tête du mouvement, se trouve un comité au nombre de membres variable (5 à 12), au titre changeant mais connu le plus souvent sous le nom de « Comité de Paris ». Il est assisté à partir de 1853 d'un Bureau du roi qui est chargé de la correspondance avec Frohsdorf. Le Comité de Paris contrôle des comités locaux, départementaux le plus souvent, voire d'arrondissement, qui forment l'armature de base du parti, organisent les élections et s'occupent de la propagande. En effet, après l'échec du soulèvement de la duchesse de Berry en 1832, les légitimistes abandonnent l'idée de conquérir le pouvoir par la force et investissent le débat politique. Ils entrent de plain-pied dans le jeu parlementaire, n'hésitant pas, sous la monarchie de Juillet, à passer des alliances avec l'opposition de gauche, y compris les républicains (alliances carlo-républicaines), pour faire élire leurs représentants. L'efficacité de ces structures et la fortune politique du légitimisme ont connu cependant de nombreuses vicissitudes dues notamment aux dissensions au sein du mouvement.

Un ou plusieurs rois ?

      La plus cruciale sans doute, parce qu'elle touche au fondements mêmes du mouvement, est celle qui naît de la querelle autour des abdications de Rambouillet. En effet, le 2 août 1830, Charles X et le Dauphin, le duc d'Angoulême, abdiquent successivement en faveur du duc de Bordeaux qui devient alors Henri V. Acceptées par la grande majorité des légitimistes qui reprochent à Charles X à la fois les ordonnances de 1830 et son incapacité à gérer la crise qui a suivi, les abdications ne sont cependant confirmées que du bout des lèvres, à la fin de l'année 1830, par le vieux roi, qui continue, dans son exil, à agir en tout point comme s'il était le seul souverain légitime.

      Les dissensions, latentes, n'éclatent qu'en 1833. Au mois de septembre de cette année, le duc de Bordeaux fête ses treize ans, âge de la majorité royale. Un certain nombre de légitimistes souhaitent donner un éclat particulier à l'événement ; en premier lieu se manifeste le fort dynamique courant Jeune France, né autour des revues L'Echo de la Jeune France et La Mode et de leurs rédacteurs respectifs, Alfred Nettement et Edouard Walsh. Ceux-ci organisent un voyage à Prague pour rendre hommage à celui qu'ils regardent comme leur souverain. Or, Charles X entend ne rien faire pour cet événement, considérant implicitement que le jeune prince n'est pas roi. Sur la demande de la cour de Prague, un grand nombre de Français sont refoulés à la frontière et ceux qui parviennent à destination entrevoient un jeune prince auquel ils ne peuvent donner aucun qualificatif royal. La rupture est impossible à dissimuler et toutes les démarches faites par le Comité de Paris auprès de Charles X n'y changeront rien. La majorité des légitimistes, dont la frange la plus jeune et la plus active regarde les abdications de Rambouillet comme valables, s'affirme « henriquinquistes », du nom d'« Henri V ». Le reste du mouvement considère que les abdications de Rambouillet sont nulles et que le seul roi légitime demeure Charles X : ce sont les « carlistes », soutenus par la cour de Prague. A la mort de Charles X en 1836, les carlistes reportent leur fidélité sur le fils du défunt, Louis « XIX ». Le fossé entre les deux tendance ne se résorbe qu'à la mort de ce dernier en 1844. Les causes de cette scission sont moins juridiques que politiques. C'est a posteriori que les carlistes rappelle que, en vertu du principe d'indisponibilité de la couronne, le roi de France ne peut abdiquer. En réalité, Charles X a préféré conserver le titre royal, ne voulant à aucun prix que la duchesse de Berry puisse revenir aux affaires sous couvert de la royauté de son fils.

Royauté autoritaire ou parlementaire ?

      Cette scission recouvre, en outre, des divergences de vues plus profondes. Les henriquinquistes sont le plus souvent gallicans, soutiennent la voie parlementaire et veulent un modernisation de l'image monarchique. Les carlistes sont en revanche ultramontains et enclins à un pouvoir autoritaire. La question successorale n'est donc pas la seule à diviser les légitimistes. Ils ne partagent pas non plus la même vision de la politique et de la monarchie. La tendance traditionaliste soutient un régime monarchie absolu, une politique abstentionniste et ne répugne pas à l'insurrection. C'est également dans ses rangs que se recrutent les carlistes. La tendance parlementaire prône un règlement politique de la question de la légitimité. Elle est elle-même partagée entre ceux qui réclament l'union des oppositions contre le gouvernement de Louis-Philippe et ceux qui préfèrent une union avec les conservateurs (tendance « toryste »). Enfin, La Gazette de France, aux forts accents démocratiques, proclame de son côté la souveraineté nationale, prône le suffrage universel et l'appel au peuple.

      La fin de la monarchie de Juillet représente une rupture dans l'histoire du légitimiste. Tout d'abord, depuis 1844, il n'y a plus qu'un seul roi, incontesté, Henri V. Or, ce nouveau roi, contrairement à ses prédécesseurs, prend fermement en main la direction de son parti. En 1850, la circulaire de Wiesbaden réaffirme son intention d'être le seul à diriger les royalistes de France et condamne tous ceux qui avaient pu prendre des initiatives sans l'aval de Frohsdorf. Par ailleurs, la tactique politique légitimiste change. A partir de 1846, l'alliance avec le Parti catholique est privilégiée et, après 1848, la mise en place du Parti de l'Ordre marque la victoire de la tendance toryste. Le légitimisme tend donc à se confondre, pendant la Deuxième République, avec le reste des forces conservatrices, à l'exception du courant de La Gazette de France, qui, soutenu essentiellement par les légitimistes du Sud-Est, forme le courant qui sera appelé la « Montagne blanche » en raison de sa radicalité.

      L'avènement du Second Empire a des effets contrastés sur le mouvement. Une partie des légitimistes se rallient au régime, tandis que le comte de Chambord donne à ses troupes des consignes d'abstention stricte. Nombre de légitimistes trouvent alors un exutoire en s'engageant dans la défense du catholicisme. Les causes légitimiste et ultramontaine deviennent quasi indissociables : c'est le temps de l'« inséparatisme ». Cela se traduit par l'implication des légitimistes dans le catholicisme social ainsi que par leur soutient financier et militaire à la cause pontificale à partir de 1859. Néanmoins, une tendance libérale, parlementaire, souvent fusionniste, autrement dit favorable à un accord entre le comte de Chambord et la branche d'Orléans, subsiste. Cette tendance donne naissance, en 1861, à l'« Union libérale » autour de Thiers et de Berryer, entreprise regardée avec méfiance par Frohsdorf.
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Apogée et effondrement.

      A la suite de la défaite et de la chute de l'Empire, le légitimisme réapparait en force. Les élections de février 1871 sont un immense succès pour le parti, qui envoie à l'Assemblée nationale près de 200 députés sur 720. Cependant, le légitimisme se divise à nouveau, autour, cette fois, de la question du drapeau blanc. Le 5 juillet 1871, un manifeste d'Henri V, signé depuis Chambord, paraît dans le journal L'Union. Le prétendant y affirme clairement son intention de garder le drapeau blanc en cas de restauration. Les légitimistes se scindent alors entre modérés qui cherchent à obtenir des concessions envers les autres royalistes, et ceux qui vont être désignés par le vocable critique de «chevau-légers», soit une soixantaine de députés qui suivent à la lettre les consignes du prince. Cette division et l'inexpérience politique de la plupart de ces hommes, maintenus pendant près de vingt ans à l'écart des Chambres, sont, au moins autant que le refus du comte de Chambord de se séparer du drapeau blanc, responsables de l'échec final du légitimisme.

      Au fil des élections partielles, les forces légitimistes s'érodent. Les Orléans hésitent à jouer franchement la carte du comte de Chambord alors que l'appui de leurs voix est indispensables à sa restauration. Néanmoins, pendant deux ans et malgré l'élection de Mac-Mahon à la présidence de la République, cette restauration apparaît toujours comme imminente. On essaie de faire fléchir le comte de Chambord sur la question du drapeau. Mais, en réponse à une séries de déclarations qui travestissent ses intentions réelles, ce dernier exprime une nouvelle fois sa position, dans une lettre au député Chesnelong datée du 27 octobre 1873. IL y expose son attachement au principe monarchique pur de tout compromis révolutionnaire et au drapeau blanc qui symbolise ce principe. A partir de ce moment-là, les dés sont jetés : la restauration ne se fera pas par la voie légale. Les élections législatives de 1876 sont catastrophiques pour le mouvement : les légitimistes ne sont guère plus d'une trentaine à être élus. Ils reviennent alors à l'idée d'un coup d'État, perpétré éventuellement avec l'aide de Mac-Mahon. Aucun des projets échafaudés jusque dans l'entourage directe du prétendant ne verra le jour. C'est un parti déjà à l'agonie qui reçoit, le 24 août 1883, le coup fatal avec la mort du comte de Chambord à Frohsdorf. La disparition sans postérité d’Henri V fut et demeure une tragédie. En effet, avec lui disparaît non seulement la branche aînée des Bourbon, mais aussi, et surtout, une certaine conception du royalisme : qu’on le veuille ou non, le comte de Chambord aura été le dernier des princes réellement désiré de ses sujets. Le royalisme sera différent après sa mort : plus polémique, plus militant, plus intellectuel, et moins enraciné ; bref, après lui, l’attachement quasi-charnel de presque tout un peuple pour son prince n’existera plus. Ayant dorénavant à choisir entre une branche cadette illégitime et régicide, et une branche aînée légitime mais étrangère, les royalistes seront divisés par des doctrines, et le royalisme se rapprochera plus d’un parti comme les autres au lieu de rester un principe qui les transcende. En conséquence, aujourd’hui, de nombreux royalistes restent désemparés, et ne semblent pas oser imaginer un royalisme moderne comme une réelle force politique, et faute de mieux restent attachés au souvenir de ce prince à la vie aussi exemplaire que semée d’épreuves, aussi héroïque que tragique.

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