jeudi 9 février 2012

Amour filial



a carrière de la vie active commence pour nous dans la famille ; la maison paternelle est le premier gymnase où la vertu s'exerce. Que dire de ceux qui prétendent aimer la patrie, qui font étalage de leur héroïsme, et qui manquent à ce haut devoir de la piété filiale ?

 Il n'y a pas d'amour de la patrie, il n'y a pas le moindre germe d'héroïsme et de vertu là où règne la noire ingratitude. L'intelligence de l'enfant s'ouvre à peine à l'idée du devoir, que déjà la nature lui crie : « Aime tes parents. »

     L'instinct de l'amour filial est si puissant que nul effort ne semblerait devoir être nécessaire pour l'entretenir toute la vie. Néanmoins, il n'est pas d'instinct honnête qui n'ait besoin de la sanction de notre volonté, et qui sans elle ne se détruise. La piété envers nos parents veut être cultivée avec une ferme résolution.

     Si l'on se pique d'aimer Dieu, d'aimer l'humanité, d'aimer la patrie, comment ne témoignerait-on pas un respect sans bornes à ceux par qui l'on est créature de Dieu, homme, citoyen ? Dans la Loi divine, immédiatement après les Commandements touchant directement à son culte, Dieu ordonne aux hommes d'honorer leurs parents, montrant par là le lien intrinsèque et incontournable qui existe entre l'amour de Dieu et la piété filiale.

     Notre père et notre mère sont naturellement nos premiers amis ; ce sont, de tous les hommes, ceux à qui nous devons le plus. Un saint devoir nous oblige envers eux à la reconnaissance, au respect, à l'amour, à l'indulgence, à l'aimable manifestation de ces divers sentiments.

     La grande intimité dans laquelle nous vivons avec les personnes qui nous tiennent de plus près ne nous accoutume que trop vite à les traiter avec une suprême insouciance, et à nous croire dispensés du soin d'être aimables et d'embellir leur existence.

     Gardons-nous bien d'un pareil tort. Quiconque ne veut pas être bon à demi doit porter dans toutes ses affections un certain désir d'exactitude et de bonne grâce qui leur donne la perfection dont elles sont susceptibles.

     Attendre, pour se montrer observateur délicat des égards sociaux, que l'on ait quitté sa maison, et manquer en attendant à la déférence et aux complaisantes attentions que l'on doit à ses parents, c'est une faute et une mauvaise manière de raisonner. Les belles manières ne s'apprennent que par une étude assidue qui doit commencer au sein même de la famille.

     « Quel mal y a-t-il, disent quelques-uns, à vivre en toute liberté avec ses parents ? Ils savent bien que leurs enfants les aiment, sans qu'il faille pour cela imposer à ceux-ci la recherche affectée des complaisances extérieures, et les obliger à dissimuler leurs ennuis et leurs petites colères. » Gardons-nous de raisonner ainsi ! Si vivre en toute liberté cela veut dire être grossier, ce n'est plus que de la grossièreté, et il n'est pas de parenté assez intime pour la justifier. D'autre part, mépriser les marques extérieures de dévotion, que ce soit envers Dieu ou envers nos parents, nous expose sûrement à l'affaiblissement de nos bons sentiments initiaux. Une charité qui ne se manifeste pas dans le sensible est condamnée à devenir tiède, voire à mourir tout à fait.

     Une âme qui ne se sent pas le courage de prendre sur elle, en famille comme dans le monde, pour se rendre agréable aux autres, pour acquérir des vertus nouvelles, pour honorer l'homme en lui-même et Dieu dans l'homme, est une âme sans vigueur. Pour se reposer de la noble fatigue d'être bon, affable et délicat, l'homme n'a que l'heure du sommeil et la respiration de la prière.

     L'amour filial est non-seulement un devoir de reconnaissance, mais d'impérieuse convenance,. Dans le cas, rare d'ailleurs, où l'on aurait des parents peu aimables, peu en droit de prétendre à une haute estime, par cela seul qu'on leur doit la vie, ils revêtent aux yeux de leurs enfants un caractère si auguste, qu'on ne peut sans infamie, je ne dirai pas les mépriser, mais seulement paraître les traiter avec négligence. Dans ce cas, les égards qu'on leur témoignera auront plus de mérite, mais n'en seront pas moins une dette payée à la nature, à l'édification des semblables, à sa propre dignité.

     Malheur à qui se fait le censeur rigide de quelque défaut de ses parents ! Il encours comme Cham la malédiction. Et par qui commencerons-nous à pratiquer la charité, si nous n'en avons pas pour un père, pour une mère ?

     Exiger, pour les respecter, qu'ils n'aient aucun défaut, qu'ils soient des modèles accomplis de l'espèce humaine, des saints sans tâche, c'est à la fois de l'orgueil et de l'injustice. Nous qui désirons tant qu'on nous respecte et qu'on nous aime, sommes-nous toujours irréprochables ? Alors même qu'une mère ou un père seraient loin de cet idéal de sens et de vertu que nous nous sommes fait, devenons ingénieux à les excuser, à cacher leurs fautes aux yeux d'autrui, à jeter un voile pudique sur leurs défauts, à apprécier leurs bonnes qualités. En agissant ainsi, nous deviendrons meilleurs nous-mêmes, acquérant par là un caractère pieux, généreux et habile à reconnaître le mérite des autres.

     Ouvrons souvent notre âme à cette pensée triste, mais féconde en enseignements de patience et de compassion : — Ces têtes blanches qui sont là devant moi, qui sait si bientôt elles ne dormiront pas dans la tombe ? Ah ! tandis que vous avez le bonheur de les voir, honorez-les et cherchez-leur des consolations à ces maux de la vieillesses dont le nombre est si grand !

     Leur âge ne les porte que trop déjà à la mélancolie, ne contribuons jamais à les attrister. Que nos manières avec eux, que toute notre conduite à leur égard, soient toujours aimables, qu'il suffise de votre vue pour les ranimer et les réjouir. Chaque sourire que vous rappelleriez sur leurs lèvres vénérables, chaque contentement que vous produirez dans leur cœur sera pour eux le plus salutaire des plaisirs, et tournera à votre avantage. Les bénédictions qu'un père ou une mère appellent sur la tête d'un fils reconnaissant sont toujours sanctionnées par Dieu.

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