mardi 22 novembre 2011

Amour de la patrie

VIII

AMOUR DE LA PATRIE



ous les sentiments qui resserrent l'union des hommes et les portent à la vertu sont nobles. La bien-pensance actuelle,  si féconde en sophismes contre tout élan généreux de l'âme, a coutume d'exalter la philanthropie universelle pour rabaisser l'amour de la patrie, qu'elle déteste, qu'elle a même banni de son vocabulaire. Elle dit : « Ma patrie est le monde, je suis un citoyen du monde ; le petit coin où je suis né n'a aucun droit à ma prédilection, puisqu'il n'a rien qui l'élève au-dessus de tant d'autres contrées où l'homme est tout aussi bien, s'il n'y est mieux; l'amour de la patrie n'est donc autre chose qu'une sorte d'égoïsme commun à une petite société d'hommes qui s'en autorisent pour haïr le reste de l'humanité. »

       Ne soyons pas le jouet d'une philosophie si dégradante. Son caractère réel est de mépriser l'homme, de nier ses vertus, son caractère surnaturel, de le ranger parmi les primates, d'appeler illusion, sottise ou perversité, tout ce qui le relève. Accumuler de magnifiques paroles contre toute tendance généreuse, contre toute inspiration utile à la société, est une science facile, mais qu'il faut dédaigner, combattre et réprimer.

       Le pensée contemporaine, peut-être malgré elle ou par une intention consciente à couleur droit-de-l'hommiste et misérabiliste, tient l'homme dans la fange ; la vraie philosophie est celle qui travaille à l'en faire sortir; — elle est religieuse, et elle honore l'amour de la patrie.

       Oui, sans doute, nous pouvons dire aussi du monde entier qu'il est notre patrie. Tous les peuples sont les membres épars d'une vaste famille, trop étendue pour pouvoir être régie par un seul gouvernement (n'en déplaise à quelques utopistes ou partisans d'un nouvel ordre mondial), quoiqu'elle n'ait que Dieu pour souverain maître. Cette pensée, que toutes les créatures de notre espèce forment une seule famille, a le mérite de nous rendre bienveillants pour l'humanité en général et nous pousser à concevoir et à exercer la charité fraternelle. Mais cette vue n'en détruit pas d'autres également justes.

       C'est aussi un fait que l'humanité se divise en nations. Une nation est cette agrégation d'hommes que la même religion, les mêmes lois, les mêmes mœurs, une même langue, une même origine, la même gloire, les mêmes malheurs et les mêmes espérances, tous ces éléments réunis, ou seulement la plupart de ces éléments, unissent dans une commune sympathie. Appeler un égoïsme à plusieurs cette sympathie et cette communauté d'intérêts entre les divers membres d'un peuple, c'est comme si la manie de blâmer prétendait flétrir l'amour paternel et l'amour filial, en peignant ces deux sentiments comme une conspiration entre chaque père et ses enfants. Ridicule !

       Souvenons-nous toujours que la vérité a plusieurs faces, ou plutôt qu'elle se diffracte en plusieurs rayons comme la lumière à travers un prisme ou un rideau de pluie. Il n'est pas un sentiment vertueux qui ne mérite d'être cultivé. Mais il en est peut-être qui, en devenait exclusifs, pourraient devenir nuisibles ? — Qu'ils ne deviennent pas exclusifs, et ils ne seront pas nuisibles. L'amour de l'humanité est excellent, mais il ne doit pas empêcher l'amour du pays natal; l'amour du pays natal est excellent à son tour, mais il ne doit pas empêcher l'amour de l'humanité.

       Honte à l'âme vile qui n'applaudit pas à tous les aspects de peut prendre, à tous les motifs dont peut se fortifier, parmi les hommes, cet instinct sacré qui les porte à vivre en frères, dans un noble échange d'égards, de secours et de courtoisie !


       Deux voyageurs européens se rencontrent dans une autre partie du globe ; l'un sera né à Turin, l'autre à Londres. Ce sont deux Européens ; cette communauté de noms établit entre eux une sorte de lien affectueux, on dirait volontiers une espèce de patriotisme, et par suite un empressement louable à se rendre mutuellement de bons offices.

       Voici, d'autre part, quelques personnes qui ont peine à se comprendre ; elles ne parlent pas habituellement la même langue. Vous ne croyez pas qu'il puisse y avoir entre elles un patriotisme commun ? Vous vous trompez. Ce sont des Suisses, celui-ci d'un canton italien, celui-là d'un canton français, cet autre d'un canton allemand. L'identité du lien politique qui les protège leur tient lieu de la langue commune qui leur manque, les rend chers les uns aux autres, et les fait contribuer, par de généreux sacrifices, au bonheur d'une patrie qui n'est pas une nation.

       Voyez en Grande Bretagne ou en Allemagne un autre spectacle : des hommes qui vivent sous des lois différentes, et devenus, par suite, des peuples différents, forcés quelquefois à guerroyer l'un contre l'autre. Mais ils parlent tous ou du moins ils écrivent la même langue; ils honorent les mêmes aïeux; ils se font gloire de la même littérature; ils ont à peu près les mêmes goûts, un besoin réciproque d'amitié, d'indulgence, de protection. Ces motifs font naître entre eux plus de bienveillance et une noble émulation de bons procédés.

       L'amour de la Patrie, qu'il embrasse un vaste pays ou ne s'applique qu'à une petite contrée, est toujours un sentiment noble. Il n'est pas de fraction de peuple qui n'ait ses gloires à elle ; des princes qui lui ont donné une puissance relative, plus ou moins considérable; — de mémorables faits historiques; — d'utiles institutions; — de vénérables traditions; — des villes importantes; — quelque trait distinctif qui honore son caractère; — des hommes illustres par leur courage, renommés dans la politique, dans les arts et dans les sciences. Chacun trouve là de bonne raisons pour aimer de préférence la province, la ville, le hameau où il est né. Rien de plus organique et de plus naturel !

       Mais prenons garde que dans le cercle le plus étendu de ses prédilections, comme dans le plus restreint, l'amour de la patrie ne se borne pour nous au sot orgueil d'être nés dans tel ou tel lieu, et ne dégénère en haine contre d'autres villes, contre d'autres provinces, contre d'autres nations. Un patriotisme illibéral, haineux ou envieux, un nationalisme d'origine révolutionnaire, n'est pas vertu, mais vice, et il appelle les plus sinistres conséquences... Que les deux précédentes guerres mondiales servent d'illustrations.



IX

LA VRAI PATRIOTE


Louis XVI : un roi bienfaisant, au service de ses sujets et de son royaume.

our aimer la patrie d'un amour vraiment élevé, nous devons commencer par lui donner en nous des citoyens dont elle n'ait pas à rougir, dont elle ait au contraire à se faire honneur. Tourner en dérision la religion et les bonnes mœurs, et dignement aimer la patrie, est chose tout aussi incompatible que de prétendre estimer, comme elle le mérite, une femme que l'on aime, et se croire dispensé de lui être fidèle. Piétiner l'honnêteté et la vertu, c'est bien plus qu'un acte individuel, c'est dans le domaine temporel un acte tourné contre la nation et qui porte atteinte à la patrie tout entière ; tout comme dans le domaine spirituel, le péché d'un tel blesse non seulement son âme, mais aussi toute l'Église.

       Si un homme insulte les autels, la sainteté du lien conjugal, la décence, la probité, et qu'il s'écrie ensuite qu'il est au service de la patrie, de la France, des Français, il ne faut pas le croire. C'est un hypocrite, c'est un détestable citoyen.

       Il n'y a de bon patriote que l'homme vertueux, celui qui comprend, celui qui aime tous ses devoirs, et qui s'étudie à les accomplir. Être un bon travailleur, un bon père, un bon époux, un bon fils : c'est être un bon citoyen, c'est être un véritable patriote.

       Jamais il n'ira se confondre avec l'adulateur des puissants, ou le contempteur haineux de toute autorité : irrévérence ou servilité, excès des deux parts.

       Si le gouvernement lui a confié un emploi militaire ou civil, le but qu'il doit se proposer, ce n'est pas sa fortune propre, mais bien l'honneur et la prospérité du prince et du pays. Hélas, combien encore, de nos jours, raisonnent ainsi ? Que signifie encore le service de l'État et du bien commun ?

       Si le vrai patriote vit en simple particulier, l'honneur et la prospérité du prince et du pays sont également l'objet de ses vœux les plus ardents, et, loin de rien faire qui puisse lui nuire, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour arriver au même but.

       Il sait que dans toutes les sociétés il existe des abus, et il désire que ces abus se réforment; mais il déteste la fureur de ceux qui voudraient les réformer par la spoliation et les vengeances sanguinaires; car de tous les abus, ceux-là sont les plus terribles et les plus funestes.

       Le vrai patriote n'appelle pas, il n'excite pas les discordes civiles; au contraire, par sa paroles et ses exemples, il se fait autant qu'il le peut le modérateur des opinions exagérées et le conseiller fervent de l'indulgence et de la paix. Il ne cesse d'être un agneau qu'au jour où la patrie ou la religion en danger réclame son bras pour la défendre. Alors il devient un lion ; il combat, et triomphe ou meurt. De tous temps le fait de donner sa vie pour son pays ou pour sa foi a toujours été tenu en très haute estime par les hommes ; il n'est pas juste qu'aujourd'hui, au nom d'un individualisme forcené ou d'une pseudo tolérance, on considère que l'Église ou la Patrie ne valent plus la peine de se battre, voire de mourir pour elles. Affirmer le contraire, et c'est à coup sûr se faire traiter d'ignoble fanatique, d'intégriste religieux ou de fasciste acharné... Triste époque qui ne voit de lutte valable que dans la défense de son pouvoir d'achat.




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