samedi 26 novembre 2011
Laudate Dominum
Libellés :
Spiritualité
The Road, de McCarthy : une réflexion autour de l'espérance ?
Certains ont déjà vu le film, d'autres ont lu le roman, tous sans doute furent touchés par cette histoire pour le moins "spéciale".
Mais pour ceux qui n'en ont pas eu vent, ou qui ne s'y sont pas penchés, plantons le décor :
Une catastrophe à eu lieu, indéterminée. « Une longue saignée de lumière puis une série de chocs sourds. » Le monde est dévasté, couvert de cendre ; le ciel n'est qu'un linceul gris, les animaux ont disparus et les arbres sont tous morts. De temps à autres, des tremblements de terre agitent le sol ou des feux se déclarent, ravageant villes abandonnées et forêts desséchées. Dans cette désolation, un père et son fils (on ne connaît pas leurs noms) poussent sur une route en ruine un caddie rempli de leurs pauvres affaires ; ils se dirigent vers le sud, vers la côte. Ils sont seuls ; ils doivent affronter le froid, la faim, les quelques pillards qui survivent en mangeant parfois de la chair humaine. Cormac McCarthy, dans un style dépouillé, retrace dans son roman leur voyage.
— Une œuvre sombre, une plongée au cœur du désespoir.
Le roman de McCarthy n'est pas à mettre entre toutes les mains, surtout les plus jeunes : certaines idées, faits et images rapportées peuvent choquer, notamment ce qui a trait à la mort, au cannibalisme et à la cruauté de certains clans de survivants qui croisent la route du père et de son fils. La route reste un roman "noir", foncièrement dénué de toute espérance (quoique, on y reviendra plus loin) où il n'y a pas de Dieu, pas d'au-delà, pas d'avenir pour l'homme. « Crois-tu que tes ancêtres regardent ? Qu'ils marquent dans leur grand livre à combien ils t'estiment ? Par rapport à quoi ? Il n'y a pas de grand livre et tes ancêtres sont morts et enterrés. » Le ciel est constamment couvert de cendre, de fumée et de nuages. Pas de soleil, pas de lune. Que la pluie, la neige, le vent... et un silence de mort. On peut donc légitimement se demander pourquoi une telle œuvre est abordée sur ce blog... En réalité, elle peut être intéressante pour nous, chrétiens (et pour les autres également), si on la lit comme si elle était un négatif, c'est-à-dire à travers la description du désespoir, trouver le sens de l'Espérance ; à travers la mort, celui de Vie et de la résurrection ; à travers la barbarie, déduire l'amour et la civilisation...etc. La route peut aussi être interprétée comme une exploration de ce qu'est un monde sans Dieu, de ce que c'est concrètement qu'un paradigme athée. Un petit passage du livre fonde cette grille personnelle de lecture :
« Il sortit dans la lumière grise et s'arrêta et il vit l'espace d'un bref instant l'absolue vérité du monde. Le froid tournoyant sans répit autour de la terre intestat. L'implacable obscurité. Les chiens aveugles du soleil dans leur course. L'accablant vide noir de l'univers. Et quelque part deux animaux traqués tremblant comme des renards dans leur refuge. Du temps en sursis et un monde en sursis et des yeux en sursis pour le pleurer. »
Dès lors, le récit se charge d'une valeur allégorique et philosophique. N'est-ce pas légitime de penser y voir une représentation détournée du monde contemporain qui tend, par son oubli de Dieu et de toute dimension surnaturelle, à devenir comme l'univers de La route : mort, froid, désolé, solitaire, barbare ? L'épisode où l'homme fouille un bateau échoué ayant pour nom "Pàjaro de Esperanza" (Oiseau de l'Espérance) est assez significatif du contexte... En fait, tout l'ouvrage pourrait en lui-même constituer une gigantesque illustration de la liasse "Vanité" dans Les Pensées de Pascal, ou mieux, de la partie "Misère de l'homme sans Dieu" dans le livre d'apologétique qu'il projetait d'écrire.
Entre les quelques deux cents quarante pages du roman (ça dépend des éditions) nous avons donc l'occasion de jeter un regard dans l'abîme noir d'un monde désespéré, aveugle, abandonné ; il nous est offert la possibilité d'explorer les conséquences logiques de l'athéisme qui prennent en l'occurrence les formes d'un horizon de cendre.
Ce monde là, sans transcendance, n'a aucun sens : « Des années plus tard il s'était retrouvé dans les ruines carbonisées d'une bibliothèque où des livres noircis gisaient dans des flaques d'eau. Des étagères renversées. Une sorte de rage contre les mensonges alignés par milliers rangée après rangée. ». Dire que le monde a un sens sans Dieu est un mensonge, et les livres qui, de par leur existence, postulent cette idée d'un univers intelligible forment une gigantesque mascarade.
Le sens des choses dépend intrinsèquement d'une idée divine, transcendante : « Il n'aurait pas cru que la valeur de la moindre petit chose pût dépendre d'un monde à venir. Ça le surprenait. Que l'espace que ces choses occupaient fût lui-même une attente. Il lâcha le livre et regarda une dernière fois autour de lui et sortit dans la froide lumière grise. »
S'il n'y a pas de Dieu, alors le monde est vraiment tel qu'il est décrit dans La route : une puissance aveugle, morte, à la dérive dans le silence de l'espace. Et la terre et l'homme ne sont rien, n'ont pas de but, pas d'avenir, pas de joie véritable, pas d'espoir solide ; ils errent sur une route qui ne mène nulle part, qui se précipite dans le néant. Chaque jour est un perpétuel mensonge. Tout ce qui existe est d'une absurdité infinie. Il n'existe pas non plus de dessein bienveillant pour l'homme, pas de providence : « Les gens passaient leur temps à faire des préparatifs pour le lendemain. Moi je n'ai jamais cru à ça. Le lendemain ne faisait pas de préparatifs pour eux. Le lendemain ne savait même pas qu'ils existaient. »
Dans un tel univers, la question du suicide vient naturellement à l'esprit. " A quoi bon ? " Cette question hante tout le récit de McCarthy et on comprend aisément que la thématique du suicide apparaisse dans tout l'ouvrage, constituant même une véritable dialectique. Le père conserve avec lui un révolver (il reste deux balles, puis une), et il se demande s'il sera capable de tuer son fils si les évènements l'exigent ; il apprend d'ailleurs à ce dernier à se servir de l'arme pour se donner la mort le cas échéant. Ailleurs dans le roman, on croise des gens pendus dans une grange, et l'on apprend, plus loin, que la mère du petit s'est donné la mort, elle aussi, par désespoir. « Elle était partie et le froid de son départ fut son ultime présent. Elle ferait cela avec un éclat d'obsidienne. Et elle avait raison. Il n'y avait pas à discuter. Les centaines de nuits qu'ils avaient passées à analyser le pour et le contre de l'autodestruction avec le sérieux de philosophes enchaînés au mur d'un asile d'aliénés. Elle, toujours si décidée, à peine surprise par les circonstances les plus insolites. Une création parfaitement agencée pour aller au-devant de sa propre fin. »
La mort se la trouve à chaque page du livre : d'abord la mort du paysage où il n'y a pas la moindre trace de vie (herbe sèche, eau noire, arbres calcinés, feuilles décomposées...etc.), mais aussi la mort humaine. Ce n'est pas exagéré de dire que la route que suivent l'homme et l'enfant est semées de cadavres : tantôt ils découvrent des ossements sur le sol d'un supermarché abandonné, tantôt c'est dans la remorque d'un camion que l'homme tombe sur un entassements de corps. Plus loin, on voit un cadavre flotter dans une cave inondée, un autre finir de sécher dans un lit d'une maison dévastée, ou encore des têtes empalées, des restes humains ici ou là... Il y a aussi la mort des personnages principaux eux-mêmes, dont ils ont conscience. Le père et le fils meurent littéralement de faim ; l'homme, en plus de ça, est malade : il tousse, il crache du sang, ses forces l'abandonnent lentement.
Leur situation mortelle et celle du monde est exprimée au tout début du livre à travers un rêve que fait l'homme. La caverne est l'univers et la bête livide est peut-être la représentation de l'angoisse, du désespoir, de la mort, ou bien une autre image du monde, froid, bestial, aveugle : « Quand il se réveillait dans les bois dans l'obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l'enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l'obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d'avant. Comme l'assaut d'on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie. A chaque précieuse respiration sa main se soulevait et retombait doucement. Il repoussa la bâche en plastique et se souleva dans les vêtements et les couvertures empuantis et regarda vers l'est en quête d'une lumière mais il n'y en avait pas. Dans le rêve dont il venait de s'éveiller il errait dans une caverne où l'enfant le guidait par la main. La lueur de leur lanterne miroitait sur les parois de calcite mouillées. Ils étaient là tous deux pareils aux vagabonds de la fable, engloutis et perdus dans les entrailles d'une bête de granit. De profondes cannelures de pierre où l'eau tombait goutte à goutte et chantait. Marquant dans le silence les minutes de la terre et ses heures et ses jours et les années sans s'interrompre jamais. Jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une vaste salle de pierre où il y avait un lac noir et antique. Et sur la rive d'en face une créature qui levait sa gueule ruisselante au-dessus de la vasque de travertin et regardait fixement dans la lumière avec des yeux morts blancs et aveugles comme des œufs d'araignée. Elle balançais la tête au ras de l'eau comme pour capter l'odeur de ce qu'elle ne pouvait pas voir. Accroupie là, pâle et nue et transparente, l'ombre de ses os d'albâtre projetée derrière elle sur les roches. Ses intestins, son cœur battant. Le cerveau qui pulsait dans une cloche de verre mat. Elle secoua la tête de gauche à droite et de droite à gauche puis elle émit un gémissement sourd et se tourna et s'éloigna en titubant et partit à petits bonds silencieux dans l'obscurité. »
Entre les quelques deux cents quarante pages du roman (ça dépend des éditions) nous avons donc l'occasion de jeter un regard dans l'abîme noir d'un monde désespéré, aveugle, abandonné ; il nous est offert la possibilité d'explorer les conséquences logiques de l'athéisme qui prennent en l'occurrence les formes d'un horizon de cendre.
Ce monde là, sans transcendance, n'a aucun sens : « Des années plus tard il s'était retrouvé dans les ruines carbonisées d'une bibliothèque où des livres noircis gisaient dans des flaques d'eau. Des étagères renversées. Une sorte de rage contre les mensonges alignés par milliers rangée après rangée. ». Dire que le monde a un sens sans Dieu est un mensonge, et les livres qui, de par leur existence, postulent cette idée d'un univers intelligible forment une gigantesque mascarade.
Le sens des choses dépend intrinsèquement d'une idée divine, transcendante : « Il n'aurait pas cru que la valeur de la moindre petit chose pût dépendre d'un monde à venir. Ça le surprenait. Que l'espace que ces choses occupaient fût lui-même une attente. Il lâcha le livre et regarda une dernière fois autour de lui et sortit dans la froide lumière grise. »
S'il n'y a pas de Dieu, alors le monde est vraiment tel qu'il est décrit dans La route : une puissance aveugle, morte, à la dérive dans le silence de l'espace. Et la terre et l'homme ne sont rien, n'ont pas de but, pas d'avenir, pas de joie véritable, pas d'espoir solide ; ils errent sur une route qui ne mène nulle part, qui se précipite dans le néant. Chaque jour est un perpétuel mensonge. Tout ce qui existe est d'une absurdité infinie. Il n'existe pas non plus de dessein bienveillant pour l'homme, pas de providence : « Les gens passaient leur temps à faire des préparatifs pour le lendemain. Moi je n'ai jamais cru à ça. Le lendemain ne faisait pas de préparatifs pour eux. Le lendemain ne savait même pas qu'ils existaient. »
Dans un tel univers, la question du suicide vient naturellement à l'esprit. " A quoi bon ? " Cette question hante tout le récit de McCarthy et on comprend aisément que la thématique du suicide apparaisse dans tout l'ouvrage, constituant même une véritable dialectique. Le père conserve avec lui un révolver (il reste deux balles, puis une), et il se demande s'il sera capable de tuer son fils si les évènements l'exigent ; il apprend d'ailleurs à ce dernier à se servir de l'arme pour se donner la mort le cas échéant. Ailleurs dans le roman, on croise des gens pendus dans une grange, et l'on apprend, plus loin, que la mère du petit s'est donné la mort, elle aussi, par désespoir. « Elle était partie et le froid de son départ fut son ultime présent. Elle ferait cela avec un éclat d'obsidienne. Et elle avait raison. Il n'y avait pas à discuter. Les centaines de nuits qu'ils avaient passées à analyser le pour et le contre de l'autodestruction avec le sérieux de philosophes enchaînés au mur d'un asile d'aliénés. Elle, toujours si décidée, à peine surprise par les circonstances les plus insolites. Une création parfaitement agencée pour aller au-devant de sa propre fin. »
La mort se la trouve à chaque page du livre : d'abord la mort du paysage où il n'y a pas la moindre trace de vie (herbe sèche, eau noire, arbres calcinés, feuilles décomposées...etc.), mais aussi la mort humaine. Ce n'est pas exagéré de dire que la route que suivent l'homme et l'enfant est semées de cadavres : tantôt ils découvrent des ossements sur le sol d'un supermarché abandonné, tantôt c'est dans la remorque d'un camion que l'homme tombe sur un entassements de corps. Plus loin, on voit un cadavre flotter dans une cave inondée, un autre finir de sécher dans un lit d'une maison dévastée, ou encore des têtes empalées, des restes humains ici ou là... Il y a aussi la mort des personnages principaux eux-mêmes, dont ils ont conscience. Le père et le fils meurent littéralement de faim ; l'homme, en plus de ça, est malade : il tousse, il crache du sang, ses forces l'abandonnent lentement.
Leur situation mortelle et celle du monde est exprimée au tout début du livre à travers un rêve que fait l'homme. La caverne est l'univers et la bête livide est peut-être la représentation de l'angoisse, du désespoir, de la mort, ou bien une autre image du monde, froid, bestial, aveugle : « Quand il se réveillait dans les bois dans l'obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l'enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l'obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d'avant. Comme l'assaut d'on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie. A chaque précieuse respiration sa main se soulevait et retombait doucement. Il repoussa la bâche en plastique et se souleva dans les vêtements et les couvertures empuantis et regarda vers l'est en quête d'une lumière mais il n'y en avait pas. Dans le rêve dont il venait de s'éveiller il errait dans une caverne où l'enfant le guidait par la main. La lueur de leur lanterne miroitait sur les parois de calcite mouillées. Ils étaient là tous deux pareils aux vagabonds de la fable, engloutis et perdus dans les entrailles d'une bête de granit. De profondes cannelures de pierre où l'eau tombait goutte à goutte et chantait. Marquant dans le silence les minutes de la terre et ses heures et ses jours et les années sans s'interrompre jamais. Jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une vaste salle de pierre où il y avait un lac noir et antique. Et sur la rive d'en face une créature qui levait sa gueule ruisselante au-dessus de la vasque de travertin et regardait fixement dans la lumière avec des yeux morts blancs et aveugles comme des œufs d'araignée. Elle balançais la tête au ras de l'eau comme pour capter l'odeur de ce qu'elle ne pouvait pas voir. Accroupie là, pâle et nue et transparente, l'ombre de ses os d'albâtre projetée derrière elle sur les roches. Ses intestins, son cœur battant. Le cerveau qui pulsait dans une cloche de verre mat. Elle secoua la tête de gauche à droite et de droite à gauche puis elle émit un gémissement sourd et se tourna et s'éloigna en titubant et partit à petits bonds silencieux dans l'obscurité. »
Si Dieu n'est pas, fondamentalement, quelle différence y a-t-il entre le monde de La route et le nôtre ? Certes nous avons les plaisirs et les belles choses, mais qu'est-ce que tout cela ? Un suaire de soie sur un cadavre pourri. En vérité seule deux options subsistent : le désespoir menant au suicide et le désespoir menant à la débauche, c'est-à-dire essayer de combler la détresse inhérente à l'univers par une recherche sans frein des plaisirs (option prise par les libertins du XVIIIe), en sachant toutefois qu'un seul gramme de plaisir s'arrache au prix d'un kilos de souffrance.
Cette situation tragique de l'homme sans Dieu a été décrite et analysée par bon nombre de philosophes, d'écrivains, de poètes, et il est possible de rattacher La route au corpus d'œuvres qui l'évoquent. En l'occurrence, le roman de Cormac McCarthy le fait d'une façon si prenante et si originale, qu'il n'est pas inutile de l'aborder.
— Un lumière indéracinable du cœur de l'homme, un feu au milieu des ténèbres.
Pourtant, au milieu de ce monde mort brille une lumière, un feu, une espérance qui s'incarne dans le personnage du petit garçon. Il est le Verbe, une sorte de Christ : « Il ne savait qu'une chose, que l'enfant était son garant. Il dit : "S'il n'est pas la parole de Dieu, Dieu n
« Tu ferais quoi si je mourais ?
Si tu mourais je voudrais mourir aussi.
Pour pouvoir être avec moi ?
Oui. Pour pouvoir être avec toi.
Dans un monde où l'humanité à l'agonie se dévore elle-même, il y a toujours cet amour entre un père et son fils, qui permet de dire que tout n'est pas perdu. En effet, dès les premières pages et jusqu’aux dernières, La Route est d'abord une histoire d’amour – peut-être la plus déchirante jamais écrite –, celle d’un homme et de son fils, ou d’un enfant et de son père, « chacun tout l’univers de l’autre ».
Cet amour, n'est-ce pas le feu dont il est question dans un des dialogues :
« Mais on ne mangerait jamais personne ?
Non. Personne.
Quoi qu'il arrive.
Jamais. Quoiqu'il arrive.
Parce qu'on est des gentils.
Oui.
Et qu'on porte le feu.
Et qu'on porte le feu. Oui.
D'accord. »
Le petit garçon représente aussi "l'esprit d'enfance" ou "l'innocence", un thème central dans toute la spiritualité chrétienne. Contrairement au père qui est toujours méfiant, toujours sur ses gardes, rongé par le désespoir et le chagrin, le fils parvient à poser un regard candide et simple sur le monde qui les entoure. Il est aussi celui qui veut toujours porter secours aux personnes croisées sur la route : d'abord au début du livre, les deux vagabonds rencontrent un homme certainement touché par la foudre ou le feu ; le petit insiste pour l'aider, mais le père le reprend en disant qu'ils ne peuvent rien pour lui, qu'il sera bientôt mort. Ailleurs, ils tombent sur un vieillard au hasard de leur périple : c'est grâce aux supplications du petit garçon que le père accepte de lui donner à manger et de le faire asseoir près d'un feu. Enfin, le fils obtient du père qu'il épargne la vie d'un voleur misérable qui leur avait dérobé toutes leurs affaires. C'est toujours cet enfant qui est touché de pitié et ne comprend pas le dur pragmatisme du père, qui, bien qu'il fasse partie du camp des "gentils", ne voit pas les choses de la même manière que son fils, avec une simplicité aussi spontanée.
En dépit des circonstances, le père et le fils sont tous les deux tendus par une espérance défiant toute raison, perçant le linceul sombre des nuages, se soulevant au dessus de cette couche de cendre vers une attente indescriptible, vissée aux entrailles : « Ils mangeaient bien mais il restait du chemin jusqu'à la côte. Il savait qu'il plaçait son espoir là où il n'avait aucune raison de rien espérer. Il espérait qu'il ferait plus clair tout en sachant que le monde devenait de plus en plus sombre. »
Alors qu'à un moment du récit le petit éprouve la tentation de baisser les bras, d'abandonner la lutte, le père lui signifie de ne jamais abandonner. Ils marchent sur la route, toujours.
« Je voudrais être avec ma maman.
Il ne répondit pas. Il s’assit à côté de la petite silhouette enveloppée dans les couettes et les couvertures. Au bout d’un moment il dit :
Tu veux dire que tu voudrais être mort.
Oui.
Tu ne dois pas dire ça.
Je le dis quand même.
Ne le dis pas.
C’est mal de le dire.
Je ne peux pas m’en empêcher.
Je sais.
Mais il faut essayer.
Et comment je fais ?
J’en sais rien. »
Plus loin...
Cet amour, n'est-ce pas le feu dont il est question dans un des dialogues :
« Mais on ne mangerait jamais personne ?
Non. Personne.
Quoi qu'il arrive.
Jamais. Quoiqu'il arrive.
Parce qu'on est des gentils.
Oui.
Et qu'on porte le feu.
Et qu'on porte le feu. Oui.
D'accord. »
Le petit garçon représente aussi "l'esprit d'enfance" ou "l'innocence", un thème central dans toute la spiritualité chrétienne. Contrairement au père qui est toujours méfiant, toujours sur ses gardes, rongé par le désespoir et le chagrin, le fils parvient à poser un regard candide et simple sur le monde qui les entoure. Il est aussi celui qui veut toujours porter secours aux personnes croisées sur la route : d'abord au début du livre, les deux vagabonds rencontrent un homme certainement touché par la foudre ou le feu ; le petit insiste pour l'aider, mais le père le reprend en disant qu'ils ne peuvent rien pour lui, qu'il sera bientôt mort. Ailleurs, ils tombent sur un vieillard au hasard de leur périple : c'est grâce aux supplications du petit garçon que le père accepte de lui donner à manger et de le faire asseoir près d'un feu. Enfin, le fils obtient du père qu'il épargne la vie d'un voleur misérable qui leur avait dérobé toutes leurs affaires. C'est toujours cet enfant qui est touché de pitié et ne comprend pas le dur pragmatisme du père, qui, bien qu'il fasse partie du camp des "gentils", ne voit pas les choses de la même manière que son fils, avec une simplicité aussi spontanée.
En dépit des circonstances, le père et le fils sont tous les deux tendus par une espérance défiant toute raison, perçant le linceul sombre des nuages, se soulevant au dessus de cette couche de cendre vers une attente indescriptible, vissée aux entrailles : « Ils mangeaient bien mais il restait du chemin jusqu'à la côte. Il savait qu'il plaçait son espoir là où il n'avait aucune raison de rien espérer. Il espérait qu'il ferait plus clair tout en sachant que le monde devenait de plus en plus sombre. »
Alors qu'à un moment du récit le petit éprouve la tentation de baisser les bras, d'abandonner la lutte, le père lui signifie de ne jamais abandonner. Ils marchent sur la route, toujours.
« Je voudrais être avec ma maman.
Il ne répondit pas. Il s’assit à côté de la petite silhouette enveloppée dans les couettes et les couvertures. Au bout d’un moment il dit :
Tu veux dire que tu voudrais être mort.
Oui.
Tu ne dois pas dire ça.
Je le dis quand même.
Ne le dis pas.
C’est mal de le dire.
Je ne peux pas m’en empêcher.
Je sais.
Mais il faut essayer.
Et comment je fais ?
J’en sais rien. »
Plus loin...
On n'a qu'à continuer d'avancer, dit l'homme.
Viens.
Je ne vois rien.
Je sais.
Il faut juste faire un pas à la fois.
D'accord.
N'abandonne pas.
D'accord.
Quoiqu'il arrive.
Quoiqu'il arrive. »
C'est ainsi que, malgré les apparences, La route constitue une véritable réflexion sur le thème de l'espérance.
L'auteur parvient à faire émerger toute la pureté de l'amour qui unit un père et son fils, avec la beauté d'un chant cristallin s'élevant haut au-dessus de la cruauté du monde. La lumière de cet amour inconditionnel irradie le récit, transcendant l'horreur du chaos qui prévaut et l'ouvrant de ce fait sur un espoir impossible à détruire. En décrivant ce qui n'est plus, McCarthy exalte la beauté de ce qui était, imprimant la marque d'une espérance tenace dans un univers désolé qui n'est plus qu'ombre et absence. Magnifique plaidoyer qui dit de la façon la plus épurée et la plus minimaliste qui soit l'imminence et l'absolu du cauchemar, mais aussi et surtout la force de la vie et de l'espoir, nous forçant à nous arrêter, regarder, respirer...et aimer. A peine une parabole, une caricature de ce qu'est devenu le monde, de ce qu'il deviendra si nous n'y prenons garde...
N.B : Cette analyse d'un œil chrétien est purement subjective et il n'est pas du tout certain (voire même peu probable) que telle ou telle réflexion ait été présente à l'esprit de l'auteur du roman.
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vendredi 25 novembre 2011
Stabat Mater
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Spiritualité
mardi 22 novembre 2011
Amour de la patrie
VIII
AMOUR DE LA PATRIE
ous les sentiments qui resserrent l'union des hommes et les portent à la vertu sont nobles. La bien-pensance actuelle, si féconde en sophismes contre tout élan généreux de l'âme, a coutume d'exalter la philanthropie universelle pour rabaisser l'amour de la patrie, qu'elle déteste, qu'elle a même banni de son vocabulaire. Elle dit : « Ma patrie est le monde, je suis un citoyen du monde ; le petit coin où je suis né n'a aucun droit à ma prédilection, puisqu'il n'a rien qui l'élève au-dessus de tant d'autres contrées où l'homme est tout aussi bien, s'il n'y est mieux; l'amour de la patrie n'est donc autre chose qu'une sorte d'égoïsme commun à une petite société d'hommes qui s'en autorisent pour haïr le reste de l'humanité. »
Ne soyons pas le jouet d'une philosophie si dégradante. Son caractère réel est de mépriser l'homme, de nier ses vertus, son caractère surnaturel, de le ranger parmi les primates, d'appeler illusion, sottise ou perversité, tout ce qui le relève. Accumuler de magnifiques paroles contre toute tendance généreuse, contre toute inspiration utile à la société, est une science facile, mais qu'il faut dédaigner, combattre et réprimer.
Le pensée contemporaine, peut-être malgré elle ou par une intention consciente à couleur droit-de-l'hommiste et misérabiliste, tient l'homme dans la fange ; la vraie philosophie est celle qui travaille à l'en faire sortir; — elle est religieuse, et elle honore l'amour de la patrie.
Oui, sans doute, nous pouvons dire aussi du monde entier qu'il est notre patrie. Tous les peuples sont les membres épars d'une vaste famille, trop étendue pour pouvoir être régie par un seul gouvernement (n'en déplaise à quelques utopistes ou partisans d'un nouvel ordre mondial), quoiqu'elle n'ait que Dieu pour souverain maître. Cette pensée, que toutes les créatures de notre espèce forment une seule famille, a le mérite de nous rendre bienveillants pour l'humanité en général et nous pousser à concevoir et à exercer la charité fraternelle. Mais cette vue n'en détruit pas d'autres également justes.
C'est aussi un fait que l'humanité se divise en nations. Une nation est cette agrégation d'hommes que la même religion, les mêmes lois, les mêmes mœurs, une même langue, une même origine, la même gloire, les mêmes malheurs et les mêmes espérances, tous ces éléments réunis, ou seulement la plupart de ces éléments, unissent dans une commune sympathie. Appeler un égoïsme à plusieurs cette sympathie et cette communauté d'intérêts entre les divers membres d'un peuple, c'est comme si la manie de blâmer prétendait flétrir l'amour paternel et l'amour filial, en peignant ces deux sentiments comme une conspiration entre chaque père et ses enfants. Ridicule !
Souvenons-nous toujours que la vérité a plusieurs faces, ou plutôt qu'elle se diffracte en plusieurs rayons comme la lumière à travers un prisme ou un rideau de pluie. Il n'est pas un sentiment vertueux qui ne mérite d'être cultivé. Mais il en est peut-être qui, en devenait exclusifs, pourraient devenir nuisibles ? — Qu'ils ne deviennent pas exclusifs, et ils ne seront pas nuisibles. L'amour de l'humanité est excellent, mais il ne doit pas empêcher l'amour du pays natal; l'amour du pays natal est excellent à son tour, mais il ne doit pas empêcher l'amour de l'humanité.
Honte à l'âme vile qui n'applaudit pas à tous les aspects de peut prendre, à tous les motifs dont peut se fortifier, parmi les hommes, cet instinct sacré qui les porte à vivre en frères, dans un noble échange d'égards, de secours et de courtoisie !
Deux voyageurs européens se rencontrent dans une autre partie du globe ; l'un sera né à Turin, l'autre à Londres. Ce sont deux Européens ; cette communauté de noms établit entre eux une sorte de lien affectueux, on dirait volontiers une espèce de patriotisme, et par suite un empressement louable à se rendre mutuellement de bons offices.
Voici, d'autre part, quelques personnes qui ont peine à se comprendre ; elles ne parlent pas habituellement la même langue. Vous ne croyez pas qu'il puisse y avoir entre elles un patriotisme commun ? Vous vous trompez. Ce sont des Suisses, celui-ci d'un canton italien, celui-là d'un canton français, cet autre d'un canton allemand. L'identité du lien politique qui les protège leur tient lieu de la langue commune qui leur manque, les rend chers les uns aux autres, et les fait contribuer, par de généreux sacrifices, au bonheur d'une patrie qui n'est pas une nation.
Voyez en Grande Bretagne ou en Allemagne un autre spectacle : des hommes qui vivent sous des lois différentes, et devenus, par suite, des peuples différents, forcés quelquefois à guerroyer l'un contre l'autre. Mais ils parlent tous ou du moins ils écrivent la même langue; ils honorent les mêmes aïeux; ils se font gloire de la même littérature; ils ont à peu près les mêmes goûts, un besoin réciproque d'amitié, d'indulgence, de protection. Ces motifs font naître entre eux plus de bienveillance et une noble émulation de bons procédés.
L'amour de la Patrie, qu'il embrasse un vaste pays ou ne s'applique qu'à une petite contrée, est toujours un sentiment noble. Il n'est pas de fraction de peuple qui n'ait ses gloires à elle ; des princes qui lui ont donné une puissance relative, plus ou moins considérable; — de mémorables faits historiques; — d'utiles institutions; — de vénérables traditions; — des villes importantes; — quelque trait distinctif qui honore son caractère; — des hommes illustres par leur courage, renommés dans la politique, dans les arts et dans les sciences. Chacun trouve là de bonne raisons pour aimer de préférence la province, la ville, le hameau où il est né. Rien de plus organique et de plus naturel !
Mais prenons garde que dans le cercle le plus étendu de ses prédilections, comme dans le plus restreint, l'amour de la patrie ne se borne pour nous au sot orgueil d'être nés dans tel ou tel lieu, et ne dégénère en haine contre d'autres villes, contre d'autres provinces, contre d'autres nations. Un patriotisme illibéral, haineux ou envieux, un nationalisme d'origine révolutionnaire, n'est pas vertu, mais vice, et il appelle les plus sinistres conséquences... Que les deux précédentes guerres mondiales servent d'illustrations.
IX
LA VRAI PATRIOTE
Louis XVI : un roi bienfaisant, au service de ses sujets et de son royaume. |
our aimer la patrie d'un amour vraiment élevé, nous devons commencer par lui donner en nous des citoyens dont elle n'ait pas à rougir, dont elle ait au contraire à se faire honneur. Tourner en dérision la religion et les bonnes mœurs, et dignement aimer la patrie, est chose tout aussi incompatible que de prétendre estimer, comme elle le mérite, une femme que l'on aime, et se croire dispensé de lui être fidèle. Piétiner l'honnêteté et la vertu, c'est bien plus qu'un acte individuel, c'est dans le domaine temporel un acte tourné contre la nation et qui porte atteinte à la patrie tout entière ; tout comme dans le domaine spirituel, le péché d'un tel blesse non seulement son âme, mais aussi toute l'Église.
Si un homme insulte les autels, la sainteté du lien conjugal, la décence, la probité, et qu'il s'écrie ensuite qu'il est au service de la patrie, de la France, des Français, il ne faut pas le croire. C'est un hypocrite, c'est un détestable citoyen.
Il n'y a de bon patriote que l'homme vertueux, celui qui comprend, celui qui aime tous ses devoirs, et qui s'étudie à les accomplir. Être un bon travailleur, un bon père, un bon époux, un bon fils : c'est être un bon citoyen, c'est être un véritable patriote.
Jamais il n'ira se confondre avec l'adulateur des puissants, ou le contempteur haineux de toute autorité : irrévérence ou servilité, excès des deux parts.
Si le gouvernement lui a confié un emploi militaire ou civil, le but qu'il doit se proposer, ce n'est pas sa fortune propre, mais bien l'honneur et la prospérité du prince et du pays. Hélas, combien encore, de nos jours, raisonnent ainsi ? Que signifie encore le service de l'État et du bien commun ?
Si le vrai patriote vit en simple particulier, l'honneur et la prospérité du prince et du pays sont également l'objet de ses vœux les plus ardents, et, loin de rien faire qui puisse lui nuire, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour arriver au même but.
Il sait que dans toutes les sociétés il existe des abus, et il désire que ces abus se réforment; mais il déteste la fureur de ceux qui voudraient les réformer par la spoliation et les vengeances sanguinaires; car de tous les abus, ceux-là sont les plus terribles et les plus funestes.
Le vrai patriote n'appelle pas, il n'excite pas les discordes civiles; au contraire, par sa paroles et ses exemples, il se fait autant qu'il le peut le modérateur des opinions exagérées et le conseiller fervent de l'indulgence et de la paix. Il ne cesse d'être un agneau qu'au jour où la patrie ou la religion en danger réclame son bras pour la défendre. Alors il devient un lion ; il combat, et triomphe ou meurt. De tous temps le fait de donner sa vie pour son pays ou pour sa foi a toujours été tenu en très haute estime par les hommes ; il n'est pas juste qu'aujourd'hui, au nom d'un individualisme forcené ou d'une pseudo tolérance, on considère que l'Église ou la Patrie ne valent plus la peine de se battre, voire de mourir pour elles. Affirmer le contraire, et c'est à coup sûr se faire traiter d'ignoble fanatique, d'intégriste religieux ou de fasciste acharné... Triste époque qui ne voit de lutte valable que dans la défense de son pouvoir d'achat.
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vendredi 18 novembre 2011
Rêverie
Alors que sur les monts l'ombre s'est abaissée,
Des jours qui ne sont plus s'éveille la pensée;
Le temps fuit plus rapide; il entraîne sans bruit
Le cortège léger des heures de la nuit.
Un songe consolant rend au cœur solitaire
Tous les biens qui jadis l'attachaient à la terre.
Ses premiers sentiments et ses premiers amis,
Et les jours de bonheur qui lui furent promis.
Calme d'un âge heureux, pure et sainte ignorance,
Amitié si puissante, et toi, belle espérance,
Deux trésors qui jamais ne me seront rendus.
Ah ! peut-on vivre encore et vous avoir perdus !
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mercredi 16 novembre 2011
Ad sepulcrum beati Iacobi
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De l'homme
VII
QU'IL FAUT ESTIMER L'HOMME
egardons dans l'humanité ceux qui, témoignant par leurs vertus de sa grandeur morale, nous montrent ce que nous devons aspirer à devenir. Nous ne pourrons les égaler en renommée, mais ce n'est pas là ce qui importe. Toujours pourrons-nous les égaler intérieurement en vertu, c'est-à-dire cultiver comme eux les sentiments nobles, du moment que nous ne sommes pas des êtres stupides ou incomplets, et pour peu que notre vie, douée d'intelligence, s'étende au delà de l'enfance.
C'est une maladie de l'époque que de considérer l'homme uniquement comme un primate super évolué, un singe savant ayant bravé la sélection naturelle, une bête comme les autres seulement pourvue d'une intelligence pratique supérieure à tous les autres animaux. Tristes conséquences du darwinisme, du positivisme d'Auguste Comte, du matérialisme athée... Vous avez voulu supprimer Dieu du monde, c'est aussi l'homme que vous avez abattu ! Regardez donc toutes les idéologies que vous avez façonné dans vos cerveaux échauffés : elles ont été les pires ennemies de l'humanité, et nous en subissons toujours le joug implacable. Philosophes ! vous prétendiez élever l'homme par votre raison, vous l'avez ravalé au dernier rand des créatures ! Désormais, c'est toujours le même discours misérabiliste qui revient sans cesse. C'est contre cette mode funeste qu'il faut lutter !
Qu'on se garde bien de trop élever l'homme, mais qu'à l'inverse on se défende de l'humilier sans scrupules ! Comme bien souvent, la Vérité se trouve au soumet de deux pentes inverses.
Lorsque nous sommes tentés de mépriser l'humanité en voyant de nos yeux ou en lisant dans l'histoire tant de faits qui tournent à sa honte, pensons aussi à ces mortels vénérables qui brillent dans cette même histoire, ou qui demeureront à jamais inconnus, ce qui est plus admirable encore. Byron, cette âme irascible, mais généreuse, disait que c'était là l'unique moyen qu'il eût trouvé pour se défendre de la misanthropie : « Le premier grand homme, disait-il, qui me revient alors à l'esprit, c'est toujours Moïse ; Moïse, qui relève tout un peuple de l'avilissement profond où il est plongé ; qui le sauve de l'opprobre de l'idolâtrie et de la servitude ; qui lui dicte une loi pleine de sagesse, admirable lien entre la religion des patriarches et la religion des temps civilisés, qui est l'Évangile. Les vertus et les institutions de Moïse, voilà le moyen que la Providence a mis en œuvre pour tirer de ce peuple de remarquables hommes d'État, d'intrépides guerriers, de généreux citoyens, de saints zélateurs de la justice, appelés à prophétiser la chute des superbes et des hypocrites, et la future civilisation de tous les peuples. »
« Lorsque j'attache ainsi ma pensée au souvenir de quelques grands hommes, et surtout à celui de mon Moïse, continuait Byron, je répète toujours avec enthousiasme ce vers sublime de Dante :
Rien qu'à les contempler mon cœur s'exalte en moi.
et je reprends alors bonne opinion de cette chair d'Adam et des esprits qu'elle porte. »
Ces paroles du grand poëte anglais devraient laisser dans les âmes une empreinte ineffaçable. Qu'il serait opportun de bien souvent imiter Byron en ceci, lorsque que la tentation nous assaille de mépriser complètement l'humanité !
Les grands hommes, morts ou vivants, donnent un éclatant démenti à quiconque se fait une idée basse de la nature humaine. Combien en a-t-on vu dans l'antiquité la plus reculée ! combien dans l'antiquité romaine : combien dans la barbarie des premiers siècles et dans la civilisation moderne ! Là les martyrs de la vérité, ici les consolateurs des affligés, les Vierges admirables, ailleurs les Pères de l'Église, admirable pour la hauteur de leur philosophie et la ferveur de leur charité ; partout enfin de vaillants guerriers, des champions de la justice, des restaurateurs des lumières (des vraies), de sages poètes, de sages savants comme saint Albert le Grand, de sages artistes, au service du Beau, du Vrai et du Bien (espèce plutôt rare de nos jours).
Que l'éloignement des âges et les magnifiques destinées de ces personnages ne nous les représentent pas d'une autre espèce que la nôtre ! Non : à l'origine, ce n'étaient pas des demi-dieux plus que nous. C'étaient des fils d'Eve ; ils ont souffert, ils ont pleuré comme nous ; ils eurent comme nous de mauvais penchants à combattre ; comme nous, ils durent parfois rougir d'eux-mêmes, luttèrent enfin pour se vaincre.
Les annales des nations et les autres monuments qui nous sont restés n'ont gardé mémoire que du moindre nombre des grandes âmes qui vécurent sur la terre. On compterait chaque jour par milliers ceux qui, sans avoir aucune célébrité, par les fruits de leur vie et par leurs bonne actions, honorent le nom d'homme et de chrétien, et leur fraternité avec tous les nobles cœurs, disons-le encore une fois, leur fraternité avec Dieu !
Rappeler l'excellence et le grand nombre des bons, ce n'est pas se faire illusion, ce n'est pas regarder l'humanité seulement par son beau côté, et nier que le nombre soit grand aussi des insensés et des pervers. Les insensés et les pervers abondent, je le sais ; mais ce qu'il importe de relever, le voici : — l'homme peut se rendre admirable par son intelligence; — il peut se défendre de la perversité; — il peut même en tout temps, et quels que soient sa fortune et le degré de ses connaissances, s'enrichir de hautes vertus; envisagé sous ces divers rapports, il a droit à l'estime de toute créature intelligente.
En lui payant ce légitime tribut d'estime, en le voyant aspirer à une perfection indéfinie, en le voyant appartenir au monde immortel des idées plutôt qu'à ces quatre jours durant lesquels, semblable aux plantes et aux bêtes, il apparaît, assujetti aux lois du monde matériel; en le voyant capable au moins de se distinguer de tout le reste de la Création, alors nous sentirons redoubler dans nos cœurs notre sympathie pour lui. Ses misères mêmes et ses erreurs nous inspireront une pitié plus grande, dès que nous penserons quelle grande créature est l'homme. Nous nous affligerons de voir s'avilir le roi des êtres créés. Nous nous efforcerons, tantôt de jeter un voile pieux sur ses fautes, tantôt de lui tendre la main pour l'aider à se relever de la fange et à retourner au trône élevé d'où il est tombé ; nous nous réjouirons saintement chaque fois que nous le verrons, jaloux de sa dignité, se montrer invincible au milieu des douleurs et des outrages, triompher des épreuves les plus pénibles, et, par la glorieuse puissance de la volonté et la grâce du Ciel, se rapprocher de son divin modèle.
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lundi 14 novembre 2011
Une noce au village
La cloche de ses joyeux sons
Remplit le village et la plaine.
C'est la noce de Madeleine
Avec Jean, le roi des garçons.
Leurs simples habits sont en laine,
Aux champs on y va sans façons,
Mais leurs âmes innocentes sont pleines
D'amour, d'espoir et de chansons.
Ils ont pour entrer en ménage,
Elle, ses doigts, son gai courage,
Son âme et son visage en fleur;
Lui, son amour, sa bonne mine,
Ses bras vaillants, son vaillant cœur,
Et tous deux la grâce divine.
Anatole de Ségur
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mercredi 9 novembre 2011
Introibo ad altare Dei
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