vendredi 4 janvier 2013

Le Concile de Trente et la Réforme tridentine




Le pape Paul III




itué dans la première moitié de l'époque moderne, le concile de Trente, quoique méprisé par ses contemporains, fut, avec la Réforme tridentine (son corollaire), l'événement capital qui détermina pour une bonne part l'histoire religieuse, sociale et culturelle de l'Europe catholique classique. 
Cette réunion de prélats passa d'abord inaperçue, puis suscita des moqueries, chez les papes eux-mêmes. Pourtant le concile de Trente devint vite la référence incontournable de l'Europe catholique moderne, le guide de la Réforme catholique tant attendue, une arme redoutable dans la lutte contre le protestantisme. Son influence dans le temps et l'espace est exceptionnelle, et dure encore jusqu'à nos jours puisqu'il est le deuxième concile le plus cité dans le nouveau Catéchisme de l'Église Catholique, après Vatican II.
      On peut dès lors se demander qu'est-ce qu'a été ce fameux concile et quels ont été le programme et les contours de la Réforme tridentine par lui engendrée ?
      Pour répondre à cette interrogation, il conviendra d'expliquer dans un premier temps l'événement du concile en lui-même, avant de brosser à grands traits un tableau du projet de réforme dans un second grand mouvement.

  1. le Concile de Trente

A) La difficile réunion du concile.

      Bien avant Luther, un profond désir de réforme parcourait déjà l'Europe, mais deux raisons principales retardèrent la convocation d'un concile œcuménique censé organiser cette réforme : la méfiance de la papauté à l'égard des conciles généraux, considérés comme une arme entre les mains des princes en conflits avec Rome, d'une part, et le conflit entre le roi de France et l'Empereur qui rendit impossible la réunion d'un concile universel, d'autre part. Ce fut le pontificat de Paul III qui permit, malgré tous les obstacles, à l'idée de concile d'aboutir. Le pape comprit que l'Église ne pouvait pas rester sur la défensive face à ce désir de réforme religieuse : il souhaita en prendre la tête et l'accomplir. Le 2 juin 1536, par la bulle Ad Dominici gregis curam, Paul III convoqua le concile à Mantoue pour le 23 mai 1537, mais la reprise de la guerre entre François Ier et Charles Quint en repoussa l'ouverture. Après diverses négociations sur le lieu de réunion, un accord fut trouvé sur la petite ville de Trente, terre d'Empire mais toute proche de l'Italie. Toutefois la guerre se ralluma, retardant une fois de plus la tenue du concile. Paul III dut attendre la paix de Crépy, en septembre 1544, pour ordonner par la bulle Lætare Jerusalem l'ouverture du concile de Trente. Il faudra encore plus d'un an pour que cette ouverture soit effective. Quand débute enfin le concile, le 13 décembre 1545, ne furent présents qu'une poignée de prélats. Jamais concile universel n'avait mis autant de temps à se réunir, jamais il n'avait été si peu fréquenté...

B) Le déroulement du concile.

      Si le concile fut interminable à se réunir, il le fut tout autant à se clore. Les mêmes causes qui avaient retardé la réunion de l'assemblée conciliaire expliquent sa durée exceptionnelle (1545-1563). Malgré les pressions impériales, le concile prouva dès ses débuts son indépendance. Contre la volonté de Charles Quint, il se montra très ferme avec les thèses protestantes, en intégrant la Tradition dans la Révélation et en traitant de points essentiels en débat : le péché originel et la justification (IV, V, VI èmes sessions, 1546-1547). Mais les travaux du concile furent très rapidement freinés par la mauvaise volonté des princes, des prélats et du pape lui-même. Par crainte d'une mainmise impériale sur l'assemblée, le concile fut transféré à Bologne en 1547 ; les pères conciliaires se divisèrent, une partie restant à Trente. Puis le concile tomba dans l'inactivité, et fut de facto suspendu en 1549. Ainsi s'achevait la première période. Il s'ouvrit de nouveau à Trente le 1er mai 1551, sous le pontificat de Jules III. Bien que la France bouda cette réunion, à cause du rapprochement entre l'Empereur et le Pape,, une importante délégation espagnole et allemande fut présente, avec même des protestants. Néanmoins, si on a espéré que le dialogue tant attendu ait lieu, il n'en fut rien : catholiques et protestants campèrent sur leurs positions, les premiers réaffirmant des dogmes honnis des seconds, notamment l'Eucharistie par le décret voté lors de la XIIIème session, le 11 octobre 1551 ; les protestants, quant à eux, exigeant que les évêques soient déliés de leur serment de fidélité au pape, que seule l'Écriture soit utilisée pour trancher les controverses et que les juges soient choisis dans les deux camps. Dialogue de sourd. A cela s'ajoutèrent les tensions internes à l'assemblée. La reprise de la guerre obligea les pères à fuir Trente, dont le concile fut à nouveau interrompu le 28 avril 1552. Il connaîtra dix ans d'éclipse et ce fut à l'occasion d'une crise religieuse en France que le pape Pie IV convoqua, par la bulle du 29 novembre 1560, l'assemblée dispersée à Trente. Le concile s'ouvrit donc une fois encore le 18 janvier 1562. On y examina le sacrement de l'Ordre, et à travers lui la conception du pouvoir épiscopal (capitale dans cette Europe du début de la modernité) et pontifical. Une solution fut trouvée après d'âpres discussions impliquant tous les partis en présence : princes, pères conciliaires et Rome : on renonça à définir dogmatiquement le pouvoir du pape. Le concile souhaita ensuite s'attaquer aux abus des princes, mais devant la la vive opposition de ces derniers, on aboutit qu'à une vague exhortation. Les autres décrets de réformes se succédèrent rapidement dès lors : purgatoire, indulgences, culte des saints, reliques et images... La séance de clôture eut lieu les 3-4 décembre 1563.

C) Bilan du concile

      Trois acteurs autonomes ont pesé sur l'histoire du concile de Trente, expliquant les extrêmes difficultés rencontrées : la papauté, les princes et l'assemblée conciliaire elle-même. Chacun a une vision propre de la réforme à entreprendre dans l'Église et tente de l'imposer aux autres. Les papes contrôlèrent l'ordre du jour de l'assemblée par leurs légats, tandis que les princes donnèrent des consignes aux évêques de leur royaume. Ceux qui furent le plus directement concernés par la crise religieuse élaborèrent même un programme : ces princes voulurent des concessions liturgiques et disciplinaires, telles que le mariage des prêtres, la communion sous les deux espèces, la messe en langue vulgaire... Souvent influencés par un élitisme humaniste qui a bien des points communs avec le protestantisme, ils voulurent épurer la religion, la débarrasser de la « superstition » (comprendre par là le culte des saints, la vénération des images, l'adoration eucharistique...). Ils voulurent également revaloriser le clergé séculier au détriment des réguliers (dénigrement que l'on va retrouver tout au long du XVIIIe siècle), mais sous le contrôle des puissances temporelles bien plus que spirituelles (Rome et les évêques). Enfin, ils montrèrent en matière dogmatique une grand indifférence, cherchant surtout à stabiliser la politique de leur pays par l'apaisement du conflit religieux avec les protestants. Cependant, les princes laïcs n'eurent pas les mêmes moyens d'action sur le concile que les papes, et leurs désunion permanente les empêcha de faire front commun. Mais les papes comme les princes ignorèrent la dynamique propre de l'assemblée tridentine, qui ne fut disposée à céder ni aux pressions temporelles, ni aux directives pontificales. Si le concile se termina enfin, et à l'avantage de la papauté, c'est grâce à la conversion tardive de Pie IV au compromis. La collaboration devint enfin franche et nette entre Rome et Trente, ce qui n'avait jamais été le cas depuis 1545. Cette collaboration permettra d'en finir avec ce que Paolo Sarpi, cité par Alain Tallon, appelait avec ironie l' « Illiade de notre temps » et annonça pour la suite la récupération pontificale de la Réforme tridentine.

  1. L'Église tridentine.

A) Trente : une réfutation de la théologie protestante

      Quoique ça ne soit pas là son caractère principal, le concile de Trente n'en demeure pas moins une redoutable machine de guerre tournée contre le protestantisme, et fut perçu comme tel par les protestants eux-mêmes. Il témoigna un soucis tout particulier de réfuter la théologie protestante, de la condamner sans nuance. Son mode d'expression par anathème est sur ce point très éloquent : « si quelqu'un dit... qu'il soit anathème ». La plupart des décrets dogmatiques, et le plus importants, furent pris lors de la première période tridentine. Toute condamnation du protestantisme doit s'appuyer sur la Révélation divine et la première tâche des pères fut donc de la définir. La IVème session du concile (8 avril 1546) réaffirme le caractère révélé de la Tradition, contre la « Sola Scriptura » de Luther. Ceci établi, au pessimisme protestant sur le péché originel, les pères répondirent en soulignant l'effet purifiant du baptême (Ve session), qui opère chez celui qui le reçoit une régénération profonde, ontologique, de tout son être. Le concile prit ensuite position sur la délicate question de la justification (VI e session) : se plaçant entre Luther et Érasme, il affirma que le chrétien est sauvé par la grâce, acceptée ou non, que donc il est à la fois participant à son propre salut et entièrement redevable à Dieu du don de la grâce. Cette conception s'oppose à la fois au « serf-arbitre » de Luther et à la liberté totale d'Érasme. Cette définition tridentine aura des conséquences pratiques très nettes pour la vie spirituelle du chrétien, comprise maintenant comme un combat permanent contre la concupiscence. Pour mener à bien ce combat, il y a les sacrements, qui sont les armes pour la bataille, d'où l'invitation pressante à communier fréquemment, donc à se confesser souvent, ce qui constitue une des modifications essentielles de la vie religieuse induites par les définitions conciliaires, annonciatrices de la doctrine d'un saint François de Sales. Trente maintient aussi la pompe du culte catholique contre le dépouillement protestant. Là où les protestants ne reconnaissent que deux sacrements, Trente confirme la liste canonique des Sept que nous connaissons, insistant surtout sur l'Eucharistie, niée des réformateurs luthériens, et la messe. S'en suivit, après les questions difficiles de la double justice et de la certitude de la grâce, et attaquant par là aussi les humanistes, le rejet de l'usage du vernaculaire dans la liturgie et les traduction bibliques : la Vulgate de saint Jérôme, traduction latine de la Bible, conserve sa place d'honneur, tout comme le latin liturgique. Quoiqu'il en soit, le concile de Trente ne fut pas uniquement une arme dogmatique, mais aussi et surtout un programme pour la Réforme catholique par lui amorcée.

B) La Réforme catholique : le programme tridentin.

      L'œuvre de réforme du concile n'innove pas radicalement, mais reprend pour une bonne part des constitutions antérieures, souvent du Moyen-Âge grégorien. Le système bénéficial, c'est-à-dire la question des revenus ecclésiastiques, par son importance et l'ampleur des abus, fut le premier chantier. Le cumul des bénéfices, les mainmise des laïcs sur les nominations aux évêchés, l'indignité des candidats aux charges, les bénéficiaires qui ne résident pas ni ne prêchent...etc., furent dénoncés au concile. Comme il est inutile et dangereux de détruire cet édifice, on procéda par tâtonnements. Le concile manifesta aussi le soucis de mieux encadrer les fidèles, ce qui aura des conséquences sur toute la période classique. Pour cela, l'accent est mis sur l'éducation du clergé et des fidèles (Ve session), par la prédication et la constitution de séminaires. Un lecteur ou un maître de grammaire doit être établi dans chaque cathédrale, église ou cure. Les évêques et les curés doivent prêcher. L'évêque est vraiment au centre du dispositif de réforme : pour cela on l'oblige à résider dans son diocèse, on limite les exemptions à son autorité (chanoines, couvents...), on interdit le cumul de bénéfices incompatibles et on lui enjoint de visiter une fois par an les églises de son diocèse, de tenir fréquemment synodes et conciles provinciaux. Les prérogatives de l'évêque sont ainsi renforcées ; les perdants étant les chapitres cathédraux et les réguliers, liés à l'évêque plus étroitement. Trente insista également sur le caractère particulier du clerc, qui doit être séparé des fidèles. Le clerc devient un modèle pour le laïc, qui reçoit la doctrine par lui, et uniquement par lui. Contre la société de son temps, Trente eut le courage d'interdire le duel et de réaffirmer que le mariage est valide seulement avec le consentement mutuel des époux, sans accord des parents, mais sinon le laïcat est presque oublié. Somme toute, ce programme de réforme, quoiqu'incomplet, est audacieux et d'application difficile. Sa mise en œuvre fut lente et progressive, prenant toute sa mesure dans le XVIIe siècle de la Contre-Réforme, même si très tôt le saint évêque Charles Borromée, par son application rigoureuse des décrets conciliaires, fit de son diocèse de Milan un véritable laboratoire tridentin, qui devint un modèle pour toute l'Europe catholique et de ce fait permet à Alain Tallon de parler, à la place de Réforme tridentine, de Réforme borroméenne.

C) Destin du Concile de Trente

      Les décrets conciliaires furent rapidement reçus dans les États italiens et dans la péninsule Ibérique, tout comme dans la lointaine Pologne malgré la présence de fortes minorités protestantes. La réception des décrets par le temporel dans les pays blessés par la crise religieuse fut beaucoup plus délicate : ratifier les décrets tridentins pouvait paraître de la provocation et rallumer de sanglantes guerres civiles. L'empereur Ferdinand ne prit pas ce risque après la fragile paix d'Augsbourg (1555), seuls les princes catholiques d'Allemagne et leurs États, sans engager l'Empire, reçurent les décrets. Catherine de Médicis, pour la France, éluda la question pour préserver la paix relative d'Amboise. Mais si la ratification des décrets par les Églises nationales peut sembler relativement rapide, leur application réelle fut beaucoup plus lente : l'élan amorcé par le concile ne s'épanouira pleinement qu'au cours du Grand Siècle. Si les décrets dogmatiques sont très tôt acceptés (dès 1550), la réforme disciplinaire fut plus longue à se réaliser. Néanmoins, grâce à l'action de la papauté, le cumul des évêchés disparaît quasiment très vite, et si la quête des bénéfices ne cessa pas, elle fut mieux réglée que par le passé. Mais il ne faut pas croire que toutes les vieilles pratiques disparurent du jour au lendemain après Trente : certaines prescriptions sont même carrément ignorés, surtout à cause du fait qu'elles étaient irréalistes (séminaires dans chaque diocèse...). L'exemple borroméen fut admiré pour sa rigueur, mais ses émules durent bien vite faire face à une réalité ecclésiastique, politique et sociale empêchant la réalisation de la réforme tridentine dans son intégralité. Ce lent effort de zèle réformateur et de compromis réaliste constitue à la fois le génie et la faiblesse de la « tridentinisation » de l'Église, qui ne manquera pas de subir, à cause ce ces lenteurs justement, de subir les critiques les plus acérées, venant des protestants, mais aussi des catholiques. Pour ces derniers, le personnage le plus important est le religieux vénitien Paolo Sarpi, qui, dans on ouvrage « Istoria del concilio tridentino » de 1619 dénonça la récupération pontificale du concile de Trente. Son livre connaîtra une large diffusion et forgera pour longtemps l'historiographie de ce concile œcuménique, dont nous sortons à peine.

Saint Charles Borromée



      L'événement conciliaire a beau se situer en plein cœur du XVIe siècle, dans la petite ville de Trente, il n'en concerne pas moins que toute la modernité européenne. A la fois inspiratrice et reflet de la société d'alors, la réforme tridentine, par son effort de centralisation, de rationalisation bureaucratique, d'appel à la responsabilité morale, d'encadrement de la société, n'est pas étrangère aux évolutions modernes. La récupération romaine du concile et le triomphe relatif de l'absolutisme pontifical n'est pas sans rappeler le processus temporel analogue d' « absolutisation » en France ou en Espagne. Par le concile de Trente, l'Église sut entrer dans la modernité avec les forces nécessaires pour s'imposer face au protestantisme, mais aussi face à la tentation théocratique des pouvoirs politiques : seule l'Église, par le pape, est souveraine absolue du sacré et c'est ce qui explique cette position très tridentine de séparation des clercs d'avec les laïcs et de cléricalisation de la société. Enfin, d'un point de vue théologique, Trente, par son assurance tranquille, sa certitude de la bonté du libre arbitre humain régénéré par la grâce, façonna tout le catholicisme moderne, voire contemporain. Le concile de Trente a été marqué par une intransigeance dogmatique quand il s'agissait de faire face à la réforme protestante, mais par un soucis de compromis pour tout le reste. Ce pragmatisme tridentin et cette plasticité, qui permirent à la réforme catholique de s'adapter à des contextes ecclésiaux bien différents, assura son succès, et son influence profonde encore jusqu'à aujourd'hui.


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