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Le pape Paul III |
itué dans
la première moitié de l'époque moderne, le concile de Trente,
quoique méprisé par ses contemporains, fut, avec la Réforme
tridentine (son corollaire), l'événement capital qui détermina
pour une bonne part l'histoire religieuse, sociale et culturelle de
l'Europe catholique classique.
Cette
réunion de prélats passa d'abord inaperçue, puis suscita des
moqueries, chez les papes eux-mêmes. Pourtant le concile de Trente
devint vite la référence incontournable de l'Europe catholique
moderne, le guide de la Réforme catholique tant attendue, une arme
redoutable dans la lutte contre le protestantisme. Son influence dans
le temps et l'espace est exceptionnelle, et dure encore jusqu'à nos
jours puisqu'il est le deuxième concile le plus cité dans le
nouveau Catéchisme de l'Église Catholique, après Vatican II.
On peut dès
lors se demander qu'est-ce qu'a été ce fameux concile et quels ont
été le programme et les contours de la Réforme tridentine par lui
engendrée ?
Pour
répondre à cette interrogation, il conviendra d'expliquer dans un
premier temps l'événement du concile en lui-même, avant de brosser
à grands traits un tableau du projet de réforme dans un second
grand mouvement.
le
Concile de Trente
A)
La difficile réunion du concile.
Bien avant
Luther, un profond désir de réforme parcourait déjà l'Europe,
mais deux raisons principales retardèrent la convocation d'un
concile œcuménique censé organiser cette réforme : la
méfiance de la papauté à l'égard des conciles généraux,
considérés comme une arme entre les mains des princes en conflits
avec Rome, d'une part, et le conflit entre le roi de France et
l'Empereur qui rendit impossible la réunion d'un concile universel,
d'autre part. Ce fut le pontificat de Paul III qui permit, malgré
tous les obstacles, à l'idée de concile d'aboutir. Le pape comprit
que l'Église ne pouvait pas rester sur la défensive face à ce
désir de réforme religieuse : il souhaita en prendre la tête
et l'accomplir. Le 2 juin 1536, par la bulle Ad
Dominici gregis curam, Paul III convoqua le
concile à Mantoue pour le 23 mai 1537, mais la reprise de la guerre
entre François Ier et Charles Quint en repoussa l'ouverture. Après
diverses négociations sur le lieu de réunion, un accord fut trouvé
sur la petite ville de Trente, terre d'Empire mais toute proche de
l'Italie. Toutefois la guerre se ralluma, retardant une fois de plus
la tenue du concile. Paul III dut attendre la paix de Crépy, en
septembre 1544, pour ordonner par la bulle Lætare
Jerusalem l'ouverture du concile de Trente.
Il faudra encore plus d'un an pour que cette ouverture soit
effective. Quand débute enfin le concile, le 13 décembre 1545, ne
furent présents qu'une poignée de prélats. Jamais concile
universel n'avait mis autant de temps à se réunir, jamais il
n'avait été si peu fréquenté...
B)
Le déroulement du concile.
Si le
concile fut interminable à se réunir, il le fut tout autant à se
clore. Les mêmes causes qui avaient retardé la réunion de
l'assemblée conciliaire expliquent sa durée exceptionnelle
(1545-1563). Malgré les pressions impériales, le concile prouva dès
ses débuts son indépendance. Contre la volonté de Charles Quint,
il se montra très ferme avec les thèses protestantes, en intégrant
la Tradition dans la Révélation et en traitant de points essentiels
en débat : le péché originel et la justification (IV, V, VI
èmes sessions, 1546-1547). Mais les travaux du concile furent très
rapidement freinés par la mauvaise volonté des princes, des prélats
et du pape lui-même. Par crainte d'une mainmise impériale sur
l'assemblée, le concile fut transféré à Bologne en 1547 ;
les pères conciliaires se divisèrent, une partie restant à Trente.
Puis le concile tomba dans l'inactivité, et fut de facto suspendu en
1549. Ainsi s'achevait la première période. Il s'ouvrit de nouveau
à Trente le 1er mai 1551, sous le pontificat de Jules III. Bien que
la France bouda cette réunion, à cause du rapprochement entre
l'Empereur et le Pape,, une importante délégation espagnole et
allemande fut présente, avec même des protestants. Néanmoins, si
on a espéré que le dialogue tant attendu ait lieu, il n'en fut
rien : catholiques et protestants campèrent sur leurs
positions, les premiers réaffirmant des dogmes honnis des seconds,
notamment l'Eucharistie par le décret voté lors de la XIIIème
session, le 11 octobre 1551 ; les protestants, quant à eux,
exigeant que les évêques soient déliés de leur serment de
fidélité au pape, que seule l'Écriture soit utilisée pour
trancher les controverses et que les juges soient choisis dans les
deux camps. Dialogue de sourd. A cela s'ajoutèrent les tensions
internes à l'assemblée. La reprise de la guerre obligea les pères
à fuir Trente, dont le concile fut à nouveau interrompu le 28 avril
1552. Il connaîtra dix ans d'éclipse et ce fut à l'occasion d'une
crise religieuse en France que le pape Pie IV convoqua, par la bulle
du 29 novembre 1560, l'assemblée dispersée à Trente. Le concile
s'ouvrit donc une fois encore le 18 janvier 1562. On y examina le
sacrement de l'Ordre, et à travers lui la conception du pouvoir
épiscopal (capitale dans cette Europe du début de la modernité) et
pontifical. Une solution fut trouvée après d'âpres discussions
impliquant tous les partis en présence : princes, pères
conciliaires et Rome : on renonça à définir dogmatiquement le
pouvoir du pape. Le concile souhaita ensuite s'attaquer aux abus des
princes, mais devant la la vive opposition de ces derniers, on
aboutit qu'à une vague exhortation. Les autres décrets de réformes
se succédèrent rapidement dès lors : purgatoire, indulgences,
culte des saints, reliques et images... La séance de clôture eut
lieu les 3-4 décembre 1563.
C)
Bilan du concile
Trois
acteurs autonomes ont pesé sur l'histoire du concile de Trente,
expliquant les extrêmes difficultés rencontrées : la papauté,
les princes et l'assemblée conciliaire elle-même. Chacun a une
vision propre de la réforme à entreprendre dans l'Église et tente
de l'imposer aux autres. Les papes contrôlèrent l'ordre du jour de
l'assemblée par leurs légats, tandis que les princes donnèrent des
consignes aux évêques de leur royaume. Ceux qui furent le plus
directement concernés par la crise religieuse élaborèrent même un
programme : ces princes voulurent des concessions liturgiques et
disciplinaires, telles que le mariage des prêtres, la communion sous
les deux espèces, la messe en langue vulgaire... Souvent influencés
par un élitisme humaniste qui a bien des points communs avec le
protestantisme, ils voulurent épurer la religion, la débarrasser de
la « superstition » (comprendre par là le culte des
saints, la vénération des images, l'adoration eucharistique...).
Ils voulurent également revaloriser le clergé séculier au
détriment des réguliers (dénigrement que l'on va retrouver tout au
long du XVIIIe siècle), mais sous le contrôle des puissances
temporelles bien plus que spirituelles (Rome et les évêques).
Enfin, ils montrèrent en matière dogmatique une grand indifférence,
cherchant surtout à stabiliser la politique de leur pays par
l'apaisement du conflit religieux avec les protestants. Cependant,
les princes laïcs n'eurent pas les mêmes moyens d'action sur le
concile que les papes, et leurs désunion permanente les empêcha de
faire front commun. Mais les papes comme les princes ignorèrent la
dynamique propre de l'assemblée tridentine, qui ne fut disposée à
céder ni aux pressions temporelles, ni aux directives pontificales.
Si le concile se termina enfin, et à l'avantage de la papauté,
c'est grâce à la conversion tardive de Pie IV au compromis. La
collaboration devint enfin franche et nette entre Rome et Trente, ce
qui n'avait jamais été le cas depuis 1545. Cette collaboration
permettra d'en finir avec ce que Paolo Sarpi, cité par Alain Tallon,
appelait avec ironie l' « Illiade de notre temps »
et annonça pour la suite la récupération pontificale de la
Réforme tridentine.
L'Église
tridentine.
A)
Trente : une réfutation de la théologie protestante
Quoique ça
ne soit pas là son caractère principal, le concile de Trente n'en
demeure pas moins une redoutable machine de guerre tournée contre le
protestantisme, et fut perçu comme tel par les protestants
eux-mêmes. Il témoigna un soucis tout particulier de réfuter la
théologie protestante, de la condamner sans nuance. Son mode
d'expression par anathème est sur ce point très éloquent : «
si quelqu'un dit... qu'il soit anathème ». La plupart des
décrets dogmatiques, et le plus importants, furent pris lors de la
première période tridentine. Toute condamnation du protestantisme
doit s'appuyer sur la Révélation divine et la première tâche des
pères fut donc de la définir. La IVème session du concile (8 avril
1546) réaffirme le caractère révélé de la Tradition, contre la
« Sola Scriptura » de Luther. Ceci établi, au pessimisme
protestant sur le péché originel, les pères répondirent en
soulignant l'effet purifiant du baptême (Ve session), qui opère
chez celui qui le reçoit une régénération profonde, ontologique,
de tout son être. Le concile prit ensuite position sur la délicate
question de la justification (VI e session) : se plaçant entre
Luther et Érasme, il affirma que le chrétien est sauvé par la
grâce, acceptée ou non, que donc il est à la fois participant à
son propre salut et entièrement redevable à Dieu du don de la
grâce. Cette conception s'oppose à la fois au « serf-arbitre »
de Luther et à la liberté totale d'Érasme. Cette définition
tridentine aura des conséquences pratiques très nettes pour la vie
spirituelle du chrétien, comprise maintenant comme un combat
permanent contre la concupiscence. Pour mener à bien ce combat, il y
a les sacrements, qui sont les armes pour la bataille, d'où
l'invitation pressante à communier fréquemment, donc à se
confesser souvent, ce qui constitue une des modifications
essentielles de la vie religieuse induites par les définitions
conciliaires, annonciatrices de la doctrine d'un saint François de
Sales. Trente maintient aussi la pompe du culte catholique contre le
dépouillement protestant. Là où les protestants ne reconnaissent
que deux sacrements, Trente confirme la liste canonique des Sept que
nous connaissons, insistant surtout sur l'Eucharistie, niée des
réformateurs luthériens, et la messe. S'en suivit, après les
questions difficiles de la double justice et de la certitude de la
grâce, et attaquant par là aussi les humanistes, le rejet de
l'usage du vernaculaire dans la liturgie et les traduction
bibliques : la Vulgate de saint Jérôme, traduction latine de
la Bible, conserve sa place d'honneur, tout comme le latin
liturgique. Quoiqu'il en soit, le concile de Trente ne fut pas
uniquement une arme dogmatique, mais aussi et surtout un programme
pour la Réforme catholique par lui amorcée.
B)
La Réforme catholique : le programme tridentin.
L'œuvre de
réforme du concile n'innove pas radicalement, mais reprend pour une
bonne part des constitutions antérieures, souvent du Moyen-Âge
grégorien. Le système bénéficial, c'est-à-dire la question des
revenus ecclésiastiques, par son importance et l'ampleur des abus,
fut le premier chantier. Le cumul des bénéfices, les mainmise des
laïcs sur les nominations aux évêchés, l'indignité des candidats
aux charges, les bénéficiaires qui ne résident pas ni ne
prêchent...etc., furent dénoncés au concile. Comme il est inutile
et dangereux de détruire cet édifice, on procéda par tâtonnements.
Le concile manifesta aussi le soucis de mieux encadrer les fidèles,
ce qui aura des conséquences sur toute la période classique. Pour
cela, l'accent est mis sur l'éducation du clergé et des fidèles
(Ve session), par la prédication et la constitution de séminaires.
Un lecteur ou un maître de grammaire doit être établi dans chaque
cathédrale, église ou cure. Les évêques et les curés doivent
prêcher. L'évêque est vraiment au centre du dispositif de
réforme : pour cela on l'oblige à résider dans son diocèse,
on limite les exemptions à son autorité (chanoines, couvents...),
on interdit le cumul de bénéfices incompatibles et on lui enjoint
de visiter une fois par an les églises de son diocèse, de tenir
fréquemment synodes et conciles provinciaux. Les prérogatives de
l'évêque sont ainsi renforcées ; les perdants étant les
chapitres cathédraux et les réguliers, liés à l'évêque plus
étroitement. Trente insista également sur le caractère particulier
du clerc, qui doit être séparé des fidèles. Le clerc devient un
modèle pour le laïc, qui reçoit la doctrine par lui, et uniquement
par lui. Contre la société de son temps, Trente eut le courage
d'interdire le duel et de réaffirmer que le mariage est valide
seulement avec le consentement mutuel des époux, sans accord des
parents, mais sinon le laïcat est presque oublié. Somme toute, ce
programme de réforme, quoiqu'incomplet, est audacieux et
d'application difficile. Sa mise en œuvre fut lente et progressive,
prenant toute sa mesure dans le XVIIe siècle de la Contre-Réforme,
même si très tôt le saint évêque Charles Borromée, par son
application rigoureuse des décrets conciliaires, fit de son diocèse
de Milan un véritable laboratoire tridentin, qui devint un modèle
pour toute l'Europe catholique et de ce fait permet à Alain Tallon
de parler, à la place de Réforme tridentine, de Réforme
borroméenne.
C)
Destin du Concile de Trente
Les décrets
conciliaires furent rapidement reçus dans les États italiens et
dans la péninsule Ibérique, tout comme dans la lointaine Pologne
malgré la présence de fortes minorités protestantes. La réception
des décrets par le temporel dans les pays blessés par la crise
religieuse fut beaucoup plus délicate : ratifier les décrets
tridentins pouvait paraître de la provocation et rallumer de
sanglantes guerres civiles. L'empereur Ferdinand ne prit pas ce
risque après la fragile paix d'Augsbourg (1555), seuls les princes
catholiques d'Allemagne et leurs États, sans engager l'Empire,
reçurent les décrets. Catherine de Médicis, pour la France, éluda
la question pour préserver la paix relative d'Amboise. Mais si la
ratification des décrets par les Églises nationales peut sembler
relativement rapide, leur application réelle fut beaucoup plus
lente : l'élan amorcé par le concile ne s'épanouira
pleinement qu'au cours du Grand Siècle. Si les décrets dogmatiques
sont très tôt acceptés (dès 1550), la réforme disciplinaire fut
plus longue à se réaliser. Néanmoins, grâce à l'action de la
papauté, le cumul des évêchés disparaît quasiment très vite, et
si la quête des bénéfices ne cessa pas, elle fut mieux réglée
que par le passé. Mais il ne faut pas croire que toutes les vieilles
pratiques disparurent du jour au lendemain après Trente :
certaines prescriptions sont même carrément ignorés, surtout à
cause du fait qu'elles étaient irréalistes (séminaires dans chaque
diocèse...). L'exemple borroméen fut admiré pour sa rigueur, mais
ses émules durent bien vite faire face à une réalité
ecclésiastique, politique et sociale empêchant la réalisation de
la réforme tridentine dans son intégralité. Ce lent effort de zèle
réformateur et de compromis réaliste constitue à la fois le génie
et la faiblesse de la « tridentinisation » de l'Église,
qui ne manquera pas de subir, à cause ce ces lenteurs justement, de
subir les critiques les plus acérées, venant des protestants, mais
aussi des catholiques. Pour ces derniers, le personnage le plus
important est le religieux vénitien Paolo Sarpi, qui, dans on
ouvrage « Istoria del concilio tridentino » de 1619
dénonça la récupération pontificale du concile de Trente. Son
livre connaîtra une large diffusion et forgera pour longtemps
l'historiographie de ce concile œcuménique, dont nous sortons à
peine.
|
Saint Charles Borromée |
L'événement
conciliaire a beau se situer en plein cœur du XVIe siècle, dans la
petite ville de Trente, il n'en concerne pas moins que toute la
modernité européenne. A la fois inspiratrice et reflet de la
société d'alors, la réforme tridentine, par son effort de
centralisation, de rationalisation bureaucratique, d'appel à la
responsabilité morale, d'encadrement de la société, n'est pas
étrangère aux évolutions modernes. La récupération romaine du
concile et le triomphe relatif de l'absolutisme pontifical n'est pas
sans rappeler le processus temporel analogue d' « absolutisation »
en France ou en Espagne. Par le concile de Trente, l'Église sut
entrer dans la modernité avec les forces nécessaires pour s'imposer
face au protestantisme, mais aussi face à la tentation théocratique
des pouvoirs politiques : seule l'Église, par le pape, est
souveraine absolue du sacré et c'est ce qui explique cette position
très tridentine de séparation des clercs d'avec les laïcs et de
cléricalisation de la société. Enfin, d'un point de vue
théologique, Trente, par son assurance tranquille, sa certitude de
la bonté du libre arbitre humain régénéré par la grâce, façonna
tout le catholicisme moderne, voire contemporain. Le concile de
Trente a été marqué par une intransigeance dogmatique quand il
s'agissait de faire face à la réforme protestante, mais par un
soucis de compromis pour tout le reste. Ce pragmatisme tridentin et
cette plasticité, qui permirent à la réforme catholique de
s'adapter à des contextes ecclésiaux bien différents, assura son
succès, et son influence profonde encore jusqu'à aujourd'hui.