mardi 22 janvier 2013

Conseils à un chevalier




eau fils, je veux vous donner un conseil qui est très bon à connaître et s'il vous plaît de le retenir grand bien pourra vous advenir. Vous serez bientôt chevalier, s'il plaît à Dieu et je le crois. Si vous trouvez, près ou loin, dame qui d'une aide ait besoin ou demoiselle dans la peine, soyez prêt à les secourir dès lors qu'elles vous en requièrent. Qui aux dames ne porte honneur c'est qu'il n'a point d'honneur au cœur. Servez dames et demoiselles. Partout vous serez honoré. Et si vous en priez aucune gardez-vous de l'importuner. Ne faites rien qui lui déplaise. Si elle vous consent un baiser, le surplus je vous défends. Pucelle donne beaucoup lorsqu'elle accorde un baiser. Si elle porte anneau au doigt ou aumônière à sa ceinture, si par amour ou par prière elle vous les donne, je le veux bien, vous porterez donc son anneau. N'ayez longuement compagnon, en chemin ou en logis, que vous ne demandiez son nom car par le nom on connaît l'homme. Beau fils, parlez aux prudhommes, allez avec eux. Jamais prudhomme ne donne mauvais conseil. Dans l'église comme au moutier, allez prier Notre-Seigneur ! Qu'en ce siècle il vous consente honneur, vous accordant de vous tenir pour à bonne fin parvenir !

— Mère, fait-il, qu'est-ce qu'une église ?

— C'est un lieu où l'ont fait le service de Dieu qui créa le ciel et la terre, y mit les hommes et les femmes.

— Qu'est-ce qu'un moutier ?

— Fils, c'est de même : une belle et sainte maison pleine de reliques et trésors. On y sacrifie le corps de Jésus-Christ, le saint Prophète que les Juifs firent tant souffrir. Il fut trahi, jugé à tort. Il souffrit angoisses de mort pour les hommes et pour les femmes. Autrefois allaient en enfer les âmes qui quittaient les corps. C'est lui qui les en retira. A une croix Jésus fut lié et battu et crucifié en portant couronne d'épines. Tous les jours allez au moutier pour ce Seigneur y adorer. »



     Le garçon se vêt donc, mais non des habits donnés par sa mère. Le maître se baisse et lui chausse l'éperon droit. Telle était en effet la coutume : qui faisait un chevalier devait lui chausser l'éperon droit. Des valets s'approchent, portant les pièces de l'armure, se pressant à l'envi pour armer le jeune homme. Mais c'est le maître qui lui ceint l'épée et l'embrasse. Il dit : « Avec cette épée que je vous remets, je vous confère l'ordre le plus haut que Dieu ait créé au monde. C'est l'Ordre de Chevalerie qui ne souffre aucune bassesse. Beau frère, souvenez-vous, si vous devez combattre, que, lorsque crie merci vers vous votre adversaire vaincu, vous devez le prendre en miséricorde et non l'occire. Ne parlez pas trop volontiers. Qui parle trop prononce des mots qui lui sont tournés à folie. Qui trop parle fait un péché, dit le sage. Je vous parie aussi : s'il vous arrive de trouver en détresse, faute de secours, homme ou femme, orphelin ou dame, secourez-les si vous pouvez. Vous ferez bien. Enfin voici une autre chose qu'il ne faut pas mettre en oubli : allez souvent au moutier prier le Créateur de toutes choses qu'il ait merci de votre âme et qu'en ce siècle terrestre, Il vous garde comme son chrétien.

Et le Gallois répond :

« De tous les apôtres de Rome, soyez béni, beau sire, qui m'enseignez comme ma mère ! »


Chrétien de Troyes in Perceval ou le Roman du Graal.

vendredi 11 janvier 2013

« Le roman de Charette », par Philippe de Villiers





     Nous était déjà familier le Charette du Marais, on connaît maintenant Charette le marin !

     Car tel est l'intérêt principal, à mon sens, du nouveau livre de Philippe de Villiers. Un travail de recherche exceptionnel et une jolie plume permettent à l'auteur de faire revivre sur le papier la carrière d'officier de marine du jeune François-Athanase. Durant la première moitié de l'ouvrage nous suivons donc notre héros depuis Brest, où il apprend le métier de la mer, jusqu'à la Sublime Porte, en passant par les Îles du Vent, la Morée ou les côtes Barbaresques. Dans une ambiance de tempête et de poudre à canon, Philippe de Villiers, à travers l'expérience du chevalier Charette, nous projette avec talent au cœur de la Marine française d'Ancien-Régime et des conflits qu'elle dû soutenir au cours du XVIIIe siècle finissant. Atmosphère d'honneur et d'héroïsme. 

     Mais c'est aussi l'époque de la peste philosophique qui commence à pourrir les esprits. L'officier Charette, de retour à Brest après être rentré en France par Toulon, est effrayé par l'air de révolution qui stagne dans les villes, démissionne de la Marine et se retire dans la propriété de sa femme, le domaine de Fonteclose. C'est le point de départ de la seconde partie du livre, beaucoup moins intéressante car elle ne fait que retracer l'épopée vendéenne du chevalier, déjà très connue, sans y rajouter quelque chose de nouveau. Par soucis de fluidité et de clarté, peut-être, Philippe de Villiers passe (trop) rapidement sur les événements de la guerre, ce qui laisse parfois une impression de confusion. En fin de compte on parvient difficilement à saisir la personnalité du chevalier Charette ; l'usage de la première personne, du début à la fin, peut aussi dérouter. Mais n'oublions pas que nous sommes dans un roman historique rigoureusement documenté ; tout ce qui y est relaté (ou presque) s'est réellement passé : cette exigence empêchait l'auteur de s'écarter trop loin des sources. On peut donc dire que « Le roman de Charette », s'il constitue une bonne introduction au personnage et à la Guerre de Vendée, agréable à lire et accessible, est néanmoins insuffisant pour pénétrer en profondeur les événements et les personnalités (ce n'était sans doute pas le but) ; toutefois cela n'est pas imputable à l'auteur, mais à la nature romanesque de l'ouvrage qui oblige à ne pas s'attarder aux analyses historiques.


Trois ouvrages consacrés à Charette ; à lire dans l'ordre.

mardi 8 janvier 2013

La religion jugée par ses fruits



'est un grand sujet de tristesse et d'étonnement pour tous les fils de l'Église de voir leur Sainte Mère en butte à tant de haines et de calomnies. On connaît l'arbre par ses fruits ; La religion catholique est un arbre immense dont les branches s'étendent sur le monde entier, et à l'ombre duquel ont reposé vingt siècles. On ne peut donc ignorer quels sont ses fruits ; on peut les juger, les goûter, les apprécier.
On parle beaucoup aujourd'hui de progrès et d'évolution. Qu'a fait notre sainte religion pour la civilisation ? Elle a renversé les idoles impures du paganisme, elle a fondé la morale la plus élevée, elle a condamnée et détruit l'esclavage, elle a conservé son flambeau toujours allumé pour éclairer les siècles les moins clairvoyants, et partout ses missionnaires, devançant les commerçants et les guerriers, ont porté la science et des mœurs plus douces au milieu des peuples sauvages. Moteur de toute la vie de l'esprit du millénaire médiéval, c'est à la religion chrétienne que nous devons les plus purs chefs-d'œuvre de notre culture en peinture, en architecture, en littérature, en musique (c'est un moine qui l'inventa)... C'est aux bénédictins que nous devons l'aménagement de l'Europe et sa civilisation. Nul ne peut opposer  au Christianisme des faits aussi éclatants.

     Quels ont été les meilleurs rois ? L'histoire nous les montre parmi ceux qui, se regardant comme les représentants de Dieu sur la terre, et sachant qu'ils devaient compte de la manière dont ils remplissaient leur mission, se sont efforcés d'améliorer le sort de leurs sujets par la modération, la justice et l'exemple de leurs vertus. Saint Louis est en la matière le souverain le plus célèbre, mais on peut citer l'infortuné Louis XVI, qui, conscient de son rôle, ne fit jamais répandre le sang pour sa défense. Tandis que pour le prince qui ne croit à rien il n'y a pas de frein : il n'admet ni supérieur à son autorité, ni juge pour ses actions. Le Christianisme, en subordonnant le pouvoir politique au pouvoir spirituel, a partout limité les abus de l'imperium antique.

        Descendons dans la famille.
     Comment peut se constituer un bon ménage ? N'est-ce pas sous l'égide de la religion, avec des promesses de fidélité, d'affection, de déférence faites au pied des autels, en face de Dieu ? Sans ces engagements sacrés, sans le sacrement qui unit les deux époux, que reste-t-il ? Des associations qu'on rompt sans scrupule, par caprice, et qui ne produisent que l'abandon, la misère et les larmes.

     Il y a, il est vrai, de mauvais ménages malgré le sacrement reçu ! Le cœur humain est sujet à bien des égarements et des inconstances ; mais, soyons justes : mettons en présence deux ménages, l'un où règne la religion, l'autre où les principes religieux sont oubliés ; avec certitude vous verrez dans le premier le mari plus doux, plus rangé, plus attentionné, plus fidèle, la femme plus dévouée, plus consacrée à ses devoirs de mère et d'épouse, les enfants mieux élevés, mieux instruits ; dans le second, plus de vices, plus de désordres, plus de querelles dans tous les membres de la famille. En peut-il être autrement ? Croit-on que ce ne soit pas un puissant moyen pour se corriger, s'amender, se supporter les uns les autres, de s'agenouiller tous ensemble devant un crucifix en demandant aide et protection à Dieu, d'entendre tous les dimanches une parole qui vous rappelle vos devoirs, de recourir à ce tribunal où on avoue ses fautes après les avoir reconnues, où on reçoit d'utiles conseils, où on promet une meilleure conduite ? Au contraire, ne jamais faire un retour sur soi-même, ne demander et ne recevoir aucun avis, ne voir que la vie terrestre avec ses jouissance, ne penser qu'aux satisfactions grossières du corps, en oubliant les intérêts de son âme et de sa destinée future (ainsi agit l'homme sans religion), c'est fatalement se laisser entraîner sur la pente de toutes les faiblesses et de toutes les tentations de notre nature perverse.



     Ce qui vaut pour des ménages s'applique à toutes les professions ; avec la religion, dans une entreprise, entreront l'ordre et la règle, et disparaîtront les conversations licencieuses, les funestes influences sur la jeunesse, et ces pensées de révolte et d'insubordination qui arrêtent le travail et engendrent la misère ; avec la religion qui commande la charité, qui impose au riche l'obligation de faire une large part au pauvre, celui qui possède la fortune sera plus généreux, plus bienfaisant, moins égoïste ; avec la religion, qui nous montre Notre-Seigneur Jésus-Christ né dans une étable, travaillant de ses mains, le pauvre ne sera plus humilié, il aura droit à tous les égards, à tous les honneurs, et son travail, dont la dignité a été relevée par son Dieu fait homme, retrouvera sa juste valeur ; la vie lui paraîtra moins rude avec la pensée des hautes destinées auxquelles il est appelé.

     Les ennemis de la société, qui sont en même temps les ennemis de la Religion, répandent avec audace sur l'égalité, la liberté et la lutte des classes leurs théories qui doivent, selon eux, faire disparaître la misère. Le bon sens public reconnaît qu'il n'y a dans ces théories rien de possible, rien d'applicable ; que ce sont des chimères au point de vue social, et des causes réelles de jalousie, de perturbation entre les divers membres de la société, propres uniquement à amener les perturbations dans lesquels chacun perd et nul ne gagne. Les révolutions qui font couler des flots de sang ne sont les moteurs d'aucune amélioration, d'aucun bonheur public.


     La religion ne se borne pas à de vagues systèmes, elle agit, elle fonde. C'est elle qui a ouvert ces nombreux asiles où sont accueillis les vieillards, les infirmes et les malades ; c'est elle qui a inspiré ces milliers de femmes admirables ayant renoncé à tous les plaisirs, et consacrées au service de ceux qui souffrent. La charité est un mot et une vertu dont le christianisme a enrichi le monde ; elle se produit sous toutes les formes, chez le missionnaire, chez les membres des associations dévouées au prochain. Quelles sont les voix qui plaident et gagnent sans cesse la cause des pauvres ? Ne sont-ce pas les voix du prêtre ? Bien avant le socialisme, c'est au catholicisme que l'ont doit les premières réflexions sur la condition ouvrière (Rerum novarum de Léon XIII) Et à tous les instants de sa vie, depuis le jour de sa naissance jusqu'à son dernier jour, n'est-ce pas du prêtre encore que l'homme reçoit les secours pour bien vivre et bien mourir ? Oui, c'est la religion qui est sa plus fidèle compagne !

     Sans doute on peut négliger la pratique de la religion par indifférence, par respect humain, par entraînement des passions, sans se déclarer son ennemi ; cette négligence a son excuse et peut s'expliquer ; mais attaquer, combattre, s'efforcer de renverser cette grand bienfaitrice de l'humanité, c'est ou un aveuglement volontaire ou une perversité. Qu'ils sont à plaindre, ces aveugles et ces pervers ! Ils n'ont jamais goûté ce qu'il y a de douceur dans la prière ; ils ont oublié la joie ineffable qui inondait leur cœur au jour de leur première communion ; ils ne se doutent pas de la consolation que la grâce divine répand dans une âme qui souffre, de la force qu'on puise dans les sacrements pour supporter le poids de la vie. Ils n'ont donc jamais vécu avec un de ces hommes que nous appelons Saints, dont la figure est sereine, dont l'âme est pure, dont toute la conduite est exemplaire, qui attirent tous les cœurs par leur affabilité, et répandent autour d'eux le doux parfum de toutes les vertus. Ils n'ont donc jamais vu mourir un de ces vrais chrétiens quittant cette terre avec calme, résignation, avec joie même pour une meilleur destinée et relevant les yeux éteints à notre soleil pour entrevoir les rayons d'une céleste béatitude.






vendredi 4 janvier 2013

Le Concile de Trente et la Réforme tridentine




Le pape Paul III




itué dans la première moitié de l'époque moderne, le concile de Trente, quoique méprisé par ses contemporains, fut, avec la Réforme tridentine (son corollaire), l'événement capital qui détermina pour une bonne part l'histoire religieuse, sociale et culturelle de l'Europe catholique classique. 
Cette réunion de prélats passa d'abord inaperçue, puis suscita des moqueries, chez les papes eux-mêmes. Pourtant le concile de Trente devint vite la référence incontournable de l'Europe catholique moderne, le guide de la Réforme catholique tant attendue, une arme redoutable dans la lutte contre le protestantisme. Son influence dans le temps et l'espace est exceptionnelle, et dure encore jusqu'à nos jours puisqu'il est le deuxième concile le plus cité dans le nouveau Catéchisme de l'Église Catholique, après Vatican II.
      On peut dès lors se demander qu'est-ce qu'a été ce fameux concile et quels ont été le programme et les contours de la Réforme tridentine par lui engendrée ?
      Pour répondre à cette interrogation, il conviendra d'expliquer dans un premier temps l'événement du concile en lui-même, avant de brosser à grands traits un tableau du projet de réforme dans un second grand mouvement.

  1. le Concile de Trente

A) La difficile réunion du concile.

      Bien avant Luther, un profond désir de réforme parcourait déjà l'Europe, mais deux raisons principales retardèrent la convocation d'un concile œcuménique censé organiser cette réforme : la méfiance de la papauté à l'égard des conciles généraux, considérés comme une arme entre les mains des princes en conflits avec Rome, d'une part, et le conflit entre le roi de France et l'Empereur qui rendit impossible la réunion d'un concile universel, d'autre part. Ce fut le pontificat de Paul III qui permit, malgré tous les obstacles, à l'idée de concile d'aboutir. Le pape comprit que l'Église ne pouvait pas rester sur la défensive face à ce désir de réforme religieuse : il souhaita en prendre la tête et l'accomplir. Le 2 juin 1536, par la bulle Ad Dominici gregis curam, Paul III convoqua le concile à Mantoue pour le 23 mai 1537, mais la reprise de la guerre entre François Ier et Charles Quint en repoussa l'ouverture. Après diverses négociations sur le lieu de réunion, un accord fut trouvé sur la petite ville de Trente, terre d'Empire mais toute proche de l'Italie. Toutefois la guerre se ralluma, retardant une fois de plus la tenue du concile. Paul III dut attendre la paix de Crépy, en septembre 1544, pour ordonner par la bulle Lætare Jerusalem l'ouverture du concile de Trente. Il faudra encore plus d'un an pour que cette ouverture soit effective. Quand débute enfin le concile, le 13 décembre 1545, ne furent présents qu'une poignée de prélats. Jamais concile universel n'avait mis autant de temps à se réunir, jamais il n'avait été si peu fréquenté...

B) Le déroulement du concile.

      Si le concile fut interminable à se réunir, il le fut tout autant à se clore. Les mêmes causes qui avaient retardé la réunion de l'assemblée conciliaire expliquent sa durée exceptionnelle (1545-1563). Malgré les pressions impériales, le concile prouva dès ses débuts son indépendance. Contre la volonté de Charles Quint, il se montra très ferme avec les thèses protestantes, en intégrant la Tradition dans la Révélation et en traitant de points essentiels en débat : le péché originel et la justification (IV, V, VI èmes sessions, 1546-1547). Mais les travaux du concile furent très rapidement freinés par la mauvaise volonté des princes, des prélats et du pape lui-même. Par crainte d'une mainmise impériale sur l'assemblée, le concile fut transféré à Bologne en 1547 ; les pères conciliaires se divisèrent, une partie restant à Trente. Puis le concile tomba dans l'inactivité, et fut de facto suspendu en 1549. Ainsi s'achevait la première période. Il s'ouvrit de nouveau à Trente le 1er mai 1551, sous le pontificat de Jules III. Bien que la France bouda cette réunion, à cause du rapprochement entre l'Empereur et le Pape,, une importante délégation espagnole et allemande fut présente, avec même des protestants. Néanmoins, si on a espéré que le dialogue tant attendu ait lieu, il n'en fut rien : catholiques et protestants campèrent sur leurs positions, les premiers réaffirmant des dogmes honnis des seconds, notamment l'Eucharistie par le décret voté lors de la XIIIème session, le 11 octobre 1551 ; les protestants, quant à eux, exigeant que les évêques soient déliés de leur serment de fidélité au pape, que seule l'Écriture soit utilisée pour trancher les controverses et que les juges soient choisis dans les deux camps. Dialogue de sourd. A cela s'ajoutèrent les tensions internes à l'assemblée. La reprise de la guerre obligea les pères à fuir Trente, dont le concile fut à nouveau interrompu le 28 avril 1552. Il connaîtra dix ans d'éclipse et ce fut à l'occasion d'une crise religieuse en France que le pape Pie IV convoqua, par la bulle du 29 novembre 1560, l'assemblée dispersée à Trente. Le concile s'ouvrit donc une fois encore le 18 janvier 1562. On y examina le sacrement de l'Ordre, et à travers lui la conception du pouvoir épiscopal (capitale dans cette Europe du début de la modernité) et pontifical. Une solution fut trouvée après d'âpres discussions impliquant tous les partis en présence : princes, pères conciliaires et Rome : on renonça à définir dogmatiquement le pouvoir du pape. Le concile souhaita ensuite s'attaquer aux abus des princes, mais devant la la vive opposition de ces derniers, on aboutit qu'à une vague exhortation. Les autres décrets de réformes se succédèrent rapidement dès lors : purgatoire, indulgences, culte des saints, reliques et images... La séance de clôture eut lieu les 3-4 décembre 1563.

C) Bilan du concile

      Trois acteurs autonomes ont pesé sur l'histoire du concile de Trente, expliquant les extrêmes difficultés rencontrées : la papauté, les princes et l'assemblée conciliaire elle-même. Chacun a une vision propre de la réforme à entreprendre dans l'Église et tente de l'imposer aux autres. Les papes contrôlèrent l'ordre du jour de l'assemblée par leurs légats, tandis que les princes donnèrent des consignes aux évêques de leur royaume. Ceux qui furent le plus directement concernés par la crise religieuse élaborèrent même un programme : ces princes voulurent des concessions liturgiques et disciplinaires, telles que le mariage des prêtres, la communion sous les deux espèces, la messe en langue vulgaire... Souvent influencés par un élitisme humaniste qui a bien des points communs avec le protestantisme, ils voulurent épurer la religion, la débarrasser de la « superstition » (comprendre par là le culte des saints, la vénération des images, l'adoration eucharistique...). Ils voulurent également revaloriser le clergé séculier au détriment des réguliers (dénigrement que l'on va retrouver tout au long du XVIIIe siècle), mais sous le contrôle des puissances temporelles bien plus que spirituelles (Rome et les évêques). Enfin, ils montrèrent en matière dogmatique une grand indifférence, cherchant surtout à stabiliser la politique de leur pays par l'apaisement du conflit religieux avec les protestants. Cependant, les princes laïcs n'eurent pas les mêmes moyens d'action sur le concile que les papes, et leurs désunion permanente les empêcha de faire front commun. Mais les papes comme les princes ignorèrent la dynamique propre de l'assemblée tridentine, qui ne fut disposée à céder ni aux pressions temporelles, ni aux directives pontificales. Si le concile se termina enfin, et à l'avantage de la papauté, c'est grâce à la conversion tardive de Pie IV au compromis. La collaboration devint enfin franche et nette entre Rome et Trente, ce qui n'avait jamais été le cas depuis 1545. Cette collaboration permettra d'en finir avec ce que Paolo Sarpi, cité par Alain Tallon, appelait avec ironie l' « Illiade de notre temps » et annonça pour la suite la récupération pontificale de la Réforme tridentine.

  1. L'Église tridentine.

A) Trente : une réfutation de la théologie protestante

      Quoique ça ne soit pas là son caractère principal, le concile de Trente n'en demeure pas moins une redoutable machine de guerre tournée contre le protestantisme, et fut perçu comme tel par les protestants eux-mêmes. Il témoigna un soucis tout particulier de réfuter la théologie protestante, de la condamner sans nuance. Son mode d'expression par anathème est sur ce point très éloquent : « si quelqu'un dit... qu'il soit anathème ». La plupart des décrets dogmatiques, et le plus importants, furent pris lors de la première période tridentine. Toute condamnation du protestantisme doit s'appuyer sur la Révélation divine et la première tâche des pères fut donc de la définir. La IVème session du concile (8 avril 1546) réaffirme le caractère révélé de la Tradition, contre la « Sola Scriptura » de Luther. Ceci établi, au pessimisme protestant sur le péché originel, les pères répondirent en soulignant l'effet purifiant du baptême (Ve session), qui opère chez celui qui le reçoit une régénération profonde, ontologique, de tout son être. Le concile prit ensuite position sur la délicate question de la justification (VI e session) : se plaçant entre Luther et Érasme, il affirma que le chrétien est sauvé par la grâce, acceptée ou non, que donc il est à la fois participant à son propre salut et entièrement redevable à Dieu du don de la grâce. Cette conception s'oppose à la fois au « serf-arbitre » de Luther et à la liberté totale d'Érasme. Cette définition tridentine aura des conséquences pratiques très nettes pour la vie spirituelle du chrétien, comprise maintenant comme un combat permanent contre la concupiscence. Pour mener à bien ce combat, il y a les sacrements, qui sont les armes pour la bataille, d'où l'invitation pressante à communier fréquemment, donc à se confesser souvent, ce qui constitue une des modifications essentielles de la vie religieuse induites par les définitions conciliaires, annonciatrices de la doctrine d'un saint François de Sales. Trente maintient aussi la pompe du culte catholique contre le dépouillement protestant. Là où les protestants ne reconnaissent que deux sacrements, Trente confirme la liste canonique des Sept que nous connaissons, insistant surtout sur l'Eucharistie, niée des réformateurs luthériens, et la messe. S'en suivit, après les questions difficiles de la double justice et de la certitude de la grâce, et attaquant par là aussi les humanistes, le rejet de l'usage du vernaculaire dans la liturgie et les traduction bibliques : la Vulgate de saint Jérôme, traduction latine de la Bible, conserve sa place d'honneur, tout comme le latin liturgique. Quoiqu'il en soit, le concile de Trente ne fut pas uniquement une arme dogmatique, mais aussi et surtout un programme pour la Réforme catholique par lui amorcée.

B) La Réforme catholique : le programme tridentin.

      L'œuvre de réforme du concile n'innove pas radicalement, mais reprend pour une bonne part des constitutions antérieures, souvent du Moyen-Âge grégorien. Le système bénéficial, c'est-à-dire la question des revenus ecclésiastiques, par son importance et l'ampleur des abus, fut le premier chantier. Le cumul des bénéfices, les mainmise des laïcs sur les nominations aux évêchés, l'indignité des candidats aux charges, les bénéficiaires qui ne résident pas ni ne prêchent...etc., furent dénoncés au concile. Comme il est inutile et dangereux de détruire cet édifice, on procéda par tâtonnements. Le concile manifesta aussi le soucis de mieux encadrer les fidèles, ce qui aura des conséquences sur toute la période classique. Pour cela, l'accent est mis sur l'éducation du clergé et des fidèles (Ve session), par la prédication et la constitution de séminaires. Un lecteur ou un maître de grammaire doit être établi dans chaque cathédrale, église ou cure. Les évêques et les curés doivent prêcher. L'évêque est vraiment au centre du dispositif de réforme : pour cela on l'oblige à résider dans son diocèse, on limite les exemptions à son autorité (chanoines, couvents...), on interdit le cumul de bénéfices incompatibles et on lui enjoint de visiter une fois par an les églises de son diocèse, de tenir fréquemment synodes et conciles provinciaux. Les prérogatives de l'évêque sont ainsi renforcées ; les perdants étant les chapitres cathédraux et les réguliers, liés à l'évêque plus étroitement. Trente insista également sur le caractère particulier du clerc, qui doit être séparé des fidèles. Le clerc devient un modèle pour le laïc, qui reçoit la doctrine par lui, et uniquement par lui. Contre la société de son temps, Trente eut le courage d'interdire le duel et de réaffirmer que le mariage est valide seulement avec le consentement mutuel des époux, sans accord des parents, mais sinon le laïcat est presque oublié. Somme toute, ce programme de réforme, quoiqu'incomplet, est audacieux et d'application difficile. Sa mise en œuvre fut lente et progressive, prenant toute sa mesure dans le XVIIe siècle de la Contre-Réforme, même si très tôt le saint évêque Charles Borromée, par son application rigoureuse des décrets conciliaires, fit de son diocèse de Milan un véritable laboratoire tridentin, qui devint un modèle pour toute l'Europe catholique et de ce fait permet à Alain Tallon de parler, à la place de Réforme tridentine, de Réforme borroméenne.

C) Destin du Concile de Trente

      Les décrets conciliaires furent rapidement reçus dans les États italiens et dans la péninsule Ibérique, tout comme dans la lointaine Pologne malgré la présence de fortes minorités protestantes. La réception des décrets par le temporel dans les pays blessés par la crise religieuse fut beaucoup plus délicate : ratifier les décrets tridentins pouvait paraître de la provocation et rallumer de sanglantes guerres civiles. L'empereur Ferdinand ne prit pas ce risque après la fragile paix d'Augsbourg (1555), seuls les princes catholiques d'Allemagne et leurs États, sans engager l'Empire, reçurent les décrets. Catherine de Médicis, pour la France, éluda la question pour préserver la paix relative d'Amboise. Mais si la ratification des décrets par les Églises nationales peut sembler relativement rapide, leur application réelle fut beaucoup plus lente : l'élan amorcé par le concile ne s'épanouira pleinement qu'au cours du Grand Siècle. Si les décrets dogmatiques sont très tôt acceptés (dès 1550), la réforme disciplinaire fut plus longue à se réaliser. Néanmoins, grâce à l'action de la papauté, le cumul des évêchés disparaît quasiment très vite, et si la quête des bénéfices ne cessa pas, elle fut mieux réglée que par le passé. Mais il ne faut pas croire que toutes les vieilles pratiques disparurent du jour au lendemain après Trente : certaines prescriptions sont même carrément ignorés, surtout à cause du fait qu'elles étaient irréalistes (séminaires dans chaque diocèse...). L'exemple borroméen fut admiré pour sa rigueur, mais ses émules durent bien vite faire face à une réalité ecclésiastique, politique et sociale empêchant la réalisation de la réforme tridentine dans son intégralité. Ce lent effort de zèle réformateur et de compromis réaliste constitue à la fois le génie et la faiblesse de la « tridentinisation » de l'Église, qui ne manquera pas de subir, à cause ce ces lenteurs justement, de subir les critiques les plus acérées, venant des protestants, mais aussi des catholiques. Pour ces derniers, le personnage le plus important est le religieux vénitien Paolo Sarpi, qui, dans on ouvrage « Istoria del concilio tridentino » de 1619 dénonça la récupération pontificale du concile de Trente. Son livre connaîtra une large diffusion et forgera pour longtemps l'historiographie de ce concile œcuménique, dont nous sortons à peine.

Saint Charles Borromée



      L'événement conciliaire a beau se situer en plein cœur du XVIe siècle, dans la petite ville de Trente, il n'en concerne pas moins que toute la modernité européenne. A la fois inspiratrice et reflet de la société d'alors, la réforme tridentine, par son effort de centralisation, de rationalisation bureaucratique, d'appel à la responsabilité morale, d'encadrement de la société, n'est pas étrangère aux évolutions modernes. La récupération romaine du concile et le triomphe relatif de l'absolutisme pontifical n'est pas sans rappeler le processus temporel analogue d' « absolutisation » en France ou en Espagne. Par le concile de Trente, l'Église sut entrer dans la modernité avec les forces nécessaires pour s'imposer face au protestantisme, mais aussi face à la tentation théocratique des pouvoirs politiques : seule l'Église, par le pape, est souveraine absolue du sacré et c'est ce qui explique cette position très tridentine de séparation des clercs d'avec les laïcs et de cléricalisation de la société. Enfin, d'un point de vue théologique, Trente, par son assurance tranquille, sa certitude de la bonté du libre arbitre humain régénéré par la grâce, façonna tout le catholicisme moderne, voire contemporain. Le concile de Trente a été marqué par une intransigeance dogmatique quand il s'agissait de faire face à la réforme protestante, mais par un soucis de compromis pour tout le reste. Ce pragmatisme tridentin et cette plasticité, qui permirent à la réforme catholique de s'adapter à des contextes ecclésiaux bien différents, assura son succès, et son influence profonde encore jusqu'à aujourd'hui.