LE CULTE EXTÉRIEUR
n avocat et un professeur de mathématique bavardent ensemble dans un train lorsque la vue d'une église par la fenêtre fait glisser la conversation sur la religion. « A quoi bon des églises ? demande l'avocat ; le seul temple digne de l'Être suprême, n'est-ce pas l'univers ? et puis que signifie cet appareil extérieur que les catholiques déploient dans leurs cérémonies religieuses ? tout cela n'est propre qu'à matérialiser la religion.
— Jusqu'ici, répond gravement le professeur, je vous avais pris pour un homme ; je vois maintenant que vous êtes un ange.
— S'il y a un ange ici, reprend poliment l'avocat, c'est vous, monsieur le mathématicien.
— Vous consentez donc, réplique celui-ci, à compter parmi les individus de l'espèce humaine ? dès lors, vous me permettrez de trouver dans vos paroles une extrême légèreté ; car, je le répète, à moins que vous ne soyez un de ces purs esprits qui, n'ayant rien de commun avec la matière, voient la vérité face à face, vous ne sauriez vous dispenser d'admettre les propositions suivantes :
« N'est-il pas vrai qu'il faut prendre l'homme tel qu'il est, composé d'un corps et d'une âme ? »
« N'est-il pas vrai que vos sens sont les organes de vos perceptions ? »
« N'est-il pas vrai que notre âme est tellement dépendante de nos sens qu'elle n'est guère touchée que de ce qui les frappe ? »
« N'est-il pas vrai que l'homme doit à Dieu l'hommage de son être tout entier ? »
« N'est-il pas vrai que tous les jours, au barreau, vous revêtez votre éloquente parole d'images sensibles, que vous l'accompagnez de gestes et d'inflexions variées, c'est-à-dire que vous prenez tous les moyens de parler aux sens de vos auditeurs, afin de les captiver, de les toucher et de faire passer vos convictions dans leur âme ? »
« N'est-il pas vrai qu'au palais vous employez un costume particulier, que vous observez certaines formes solennelles, afin d'imprimer plus de respect pour les juges et les jugements ? »
Or, dites-moi, qu'est-ce que tout cela, sinon le culte extérieur de la justice humaine, et pourquoi tout cela, sinon parce que vous traitez, non avec des anges, mais avec des hommes, c'est-à-dire avec des créatures soumises à des sens ?
Si donc, Maître, vous voulez condamner le culte extérieur de l'Église, soyez conséquent avec vous-même et commencez par retrancher de vos discours tout ce qui parle aux sens ; du barreau, tous les rites et tous les costumes consacrés, de l'administration de la justice, toutes les formes extérieures destinées à inspirer le respect des magistrats et des lois; ou plutôt faites que l'homme soit un ange ; mais, tant que l'homme sera une intelligence servie et trop souvent asservie par des organes, vouloir réduire la religion au pur spirituel, c'est attaquer son empire le plus légitime et la désarmer...
ans toutes les langes le mot
culte veut dire
honneur, respect, vénération. Dans la langue religieuse, nous appelons
culte intérieur les sentiments de foi, d'admiration, de respect, de reconnaissance, d'amour et de soumission que nous devons avoir pour Dieu ; nous appelons
culte extérieur les signes sensibles par lesquels nous manifestons ces sentiments, comme les génuflexions, les prières, les vœux, les offrandes ; mais lorsque ces témoignages ne sont pas accompagnés des sentiments du cœur, ce n'est plus un culte vrai et sincère, c'est une pure hypocrisie, vice que Jésus-Christ et les prophètes ont souvent reproché aux juifs.
Pour achever la définition du mot culte, nous dirons que nous reconnaissons : le culte suprême, qui se compose des sentiments et des témoignages qui ne sont dus qu'à Dieu ; le culte inférieur et subordonnée, que nous rendons aux anges et aux saints et par lequel nous respectons et honorons en eux les grâces surnaturelles que Dieu leur a faites, la dignité à laquelle il les a élevée, le pouvoir qu'il leur concède. Nous demandons à Dieu de nous accorder ses grâces par lui-même, et nous supplions les anges et les saints de les obtenir pour nous par leur intercession ; cela est très différent.
Le culte extérieur ne s'exerce pas sans cérémonies. On entend par cérémonies religieuses des actions mystérieuses et extérieures établies pour accompagner le culte divin et le rendre plus auguste et plus expressif. En effet, toutes renferment et expriment un sens caché ; on dirait un voile transparent qui laisse entrevoir des choses purement spirituelles ; toutes ont leur raison d'être, leur but et leur explication ; toutes aussi, pour être agréables à Dieu, doivent s'exercer suivant les prescriptions de Dieu même ou de ses ministres ; de là le rit.
On appelle rit un usage ou une cérémonie selon l'ordre prescrit. Le mot rit vient du mot latin rite ou recte, qui veut dire ce qui est bien fait, ce qui est conforme à l'ordre ; ainsi les rites catholiques sont les cérémonies religieuses comme elles sont prescrites par l'Église catholique. Le rit romain, le rit milanais, le rit parisien, ce sont les cérémonies telles qu'elles sont prescrites à Romes, à Milan, à Paris.
Le culte extérieur, les cérémonies, les rites se rapportent directement ou indirectement à l'acte par excellence de la religion, l'auguste sacrifice de la messe, parce que dans le christianisme, considéré intérieurement et extérieurement, Jésus-Christ est le terme final auquel tout aboutit ; de là le nom de liturgie donné à l'ensemble des cérémonies et des prières qui composent le culte extérieur de l'Église catholique.
Liturgie est un mot grec qui signifie œuvre publique, œuvre par excellence ; c'est ce que nous nommons aussi en français le service divin. C'est la messe ou la consécration de l'Eucharistie qu'on nomme proprement liturgie, parce qu'elle est la partie la plus auguste du service divin ; voilà pourquoi les livres qui contiennent la manière de célébrer les saints mystères sont nommés les liturgies.
Pour résumer, dussions-nous répéter ce que nous avons déjà indiqué, le culte extérieur avec ses cérémonies est nécessaire à l'homme pour manifester ses sentiments, pour soutenir, affermir le culte intérieur. « L'homme étant corps et esprit, dit le saint concile de Trente, il ne peut que très difficilement, sans le secours des sens, s'élever à la méditation des choses divines. L'Église, comme une tendre mère, a établi certains rites, institués des cérémonies, pour porter les fidèles, au moyen de ces signes sensibles, à la contemplation des profonds mystères du christianisme. » S'il n'y a pas de Dieu sans religion, il n'est pas moins vrai qu'il n'y a pas de religion sans culte extérieur.
Cette nécessité du culte extérieur pour l'homme n'est pas moins clairement fondée sur cette raison qu'étant composé d'une double substance, il doit à Dieu l'hommage de son être tout entier. L'âme honore Dieu par le culte intérieur, et le corps l'honore à sa manière par le culte extérieur.
Il n'a jamais existé de société qui n'ait eu un culte public ; un peuple, sans ce culte, serait un peuple athée, c'est-à-dire dans des conditions telles de confusion, de désordre, d'anarchie (on en sait quelque chose), qu'il ne pourrait subsister. De la religion régnant par son culte, dérivent toutes les lois morales ; elle est le fondement de toutes les autorités, elle maintient l'ordre et la vie sociale, rappelant qu'il y a un Dieu, maître de la nature, souverain législateur, fondateur de la société civile, arbitre des nations, distributeur des biens et des maux, protecteur des familles, vengeur du crime, rémunérateur de la vertu. Sous l'empire de la loi mosaïque, la plupart des cérémonies étaient autant de monuments des faits merveilleux qui prouvaient la mission de Moïse, et la certitude des promesses que Dieu avait faites à son peuple ; elles tenaient les Juifs en garde contre les autres nations et réprimaient leur penchant à l'idolâtrie.
Sous le christianisme, alors que tous les peuples sont appelés à ne former qu'une seule famille unie par le double lien de la même foi et de la même charité, les cérémonies ont un objet plus auguste encore et un sens plus sublime ; elle nous mettent continuellement sous les yeux un Dieu sanctificateur des hommes, qui, par Jésus-Christ son Fils, nous a rachetés du péché et de la damnation, qui, par des grâces continuelles, pourvoit à tous les besoins de notre âme ; elles sont comme une prédication non interrompue et une profession solennelle des dogmes les plus essentiels à l'homme et à la société ; c'est une leçon de morale intelligible aux ignorants comme aux sages, qui leur rappelle continuellement leurs devoirs envers Dieu, envers leurs semblables, envers eux-mêmes ; le cérémonial des sacrements est particulièrement un tableau des obligations du chrétien dans tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie ; malheur à ceux qui ne prêtent aucune attention à ces leçons et sur qui ce langage figuratif ne produit pas, jusqu'au fond de leurs cœurs, les plus vives et les plus salutaires impressions...