dimanche 17 octobre 2010

Une pensée pour Marie-Antoinette.

Il y a 217 ans mourrait sur l'échafaud la dernière la souveraine à avoir porté le titre de « reine de France ».

C'était à Paris, le 16 octobre 1793.

Marie-Antoinette est condamnée à mort aux alentours de quatre heures du matin.
A cinq heures et demi elle reprend lentement le chemin de son cachot où elle n'aura plus à faire désormais qu'un séjour de courte durée.
Bien qu'elle soit épuisée et qu'il ne lui reste que peu de temps pour se préparer à la mort, la reine, à qui l'on a consenti de donner une feuille de papier, une plume, de l'encre et deux bougies, en rentrant dans sa prison a tout d'abord écrit à Madame Élisabeth.
« C'est à vous, ma sœur, que j'écris pour la dernière fois. Je viens d'être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l'est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocent, j'espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments... J'ai un profond regret d'abandonner mes enfants, vous savez que je n'existais que pour eux... Recevez pour eux deux, ici, ma bénédiction...
  Que mon fils n'oublie jamais les derniers mots de son père que je lui répète expressément, qu'il ne cherche jamais à venger notre mort. J'ai à vous parler d'une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine. Songez à l'âge qu'il a et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu'on veut et même ce qu'il ne comprend pas (Marie-Antoinette a été accusée à tort d'inceste sur son fils, ndlr). Un jour viendra, j'espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous les deux. Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées.
  Je meure (sic) dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères que j'ai toujours professé... Je demande pardon sincèrement à Dieu de toutes les fautes que j'ai pu commettre depuis que j'existe... Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu'ils m'ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes, et à tous mes frères et sœurs. J'avais des amis. L'idée d'en être séparée pour jamais, et leurs peines, sont un des plus grands regrets que j'emporte en mourant; qu'ils sachent du moins, que jusqu'à mon dernier moment, j'ai pensé à eux.
  Adieu, ma bonne et tendre sœur; puisse cette lettre vous arriver. Pensé (sic) toujours à moi, je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants; mon Dieu qu'il est déchirant de les quitter pour toujours ! Adieu ! Adieu ! Je ne vais plus m'occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre de mes actions on m'amènera peut-être un prêtre (assermenté), mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot (les prêtres jureurs étaient schismatiques, ndlr), et que je le traiterai comme un être absolument étranger. »

Ce qu'on peut appeler son " testament " achevé, elle s'étend sur son lit, toujours vêtue de sa robe noire, et Rosalie Lamorlière qui se présentera dès sept heures la trouvera pleurant doucement, le visage tourné vers la fenêtre où clignote la vague lueur du réverbère.

– Que désirez-vous prendre ce matin ? demande la jeune servante. Vous n'avez rien pris hier au soir et presque rien dans la journée.
– Ma fille, tout est fini pour moi, je n'ai plus besoin de rien...

  Mais comme Rosalie insiste : « Madame, j'ai préparé un bouillon », la reine finit par se laisse convaincre. A peine peut-elle, il est vrai, avaler quelques cuillerées.
  Elle se reprend pourtant, et le jour qui achève de se lever lui rend peu à peu son courage habituel.
Après avoir changé sa chemise tachée de sang en présence de l'officier de gendarmerie qui remplace le lieutenant Busne (ses ordres indiquent, a-t-il déclaré, qu'il doit avoir l'œil sur tous les mouvements de la prisonnière), elle enfile le déshabillé blanc qu'elle met d'ordinaire le matin avant de draper sur ses épaules un grand fichu de mousseline.
  Sa coiffe lui semblant peu seyante, elle eût désiré s'en aller tête nue. Mais, cette faveur lui ayant été refusée, elle repassa soigneusement son bonnet et voulut aussi elle-même couper ses cheveux. Assise sur son lit de sangle, elle disait aux gendarmes qui n'étaient séparés d'elle que par un paravent :

– Croyez-vous que le peuple me laissera aller à l'échafaud sans me mettre en pièces ?
  A quoi l'un d'eux répondit :
– Vous y parviendrez sans qu'il vous soit fait aucun mal.

Neuf heures. Accompagné de deux de ses assesseurs, le président Hermann, chapeau bas, pénètre dans la cellule où Marie-Antoinette, agenouillée auprès de son lit, achève ses dernières prières. Le greffier Fabricius, qui survient peu après, déploie aussitôt une feuille de papier. Marie-Antoinette a compris ce que ce dérisoire cérémonial signifiait :

– Inutile, dit-elle d'un ton majestueux, je ne connais que trop cette sentence.
  Les pesantes formules n'en tombent pas moins de la bouche du greffier. Mais à peine a-t-elle subi ce premier supplice d'un homme jeune et athlétique fait son entrée. C'est Henri Sanson, le fils de l'exécuteur qui, neuf mois plus tôt, a guillotiné Louis XVI. A lui revient aujourd'hui d'exercer l'office de bourreau. Il voudrait se montrer courtois, mais Hermann le rappelle à l'ordre :
– Fais ton devoir !
  Il s'incline, demande à la condamnée de présenter ses mains.
– Oh ! mon Dieu ! Voulez-vous les lier ?
– J'y suis obligé.
  Alors, comme elle esquisse une résistance, il lui saisit les deux bras qu'il attache fortement derrière le dos, à la hauteur des coudes. Puis, après avoir à grands coups de ciseaux taillé ce qu'elle a laissé subsister de sa chevelure devenue toute blanche, il pousse la condamnée vers la cour.

  Et c'est là que Marie-Antoinette ne peut réprimer une nouveau sursaut d'épouvante. Elle s'était imaginée qu'elle serait transportée dans un carrosse semblable à celui qui avait emmené le roy le matin du 21 janvier. Or c'est une grossière charrette qu'elle aperçoit, une charrette destinée à véhiculer des ordures. La mesure est comble. C'est le pilori, aboli depuis peu, qu'elle va subir.

  De ce moment on lui vit un visage défait, dont le peintre David embusqué à l'angle d'une rue allait cruellement accuser les traits, soulignant les coins de la bouche affaissés; le douloureux rictus d'agonie. Mais elle n'en oubliera  pas pour autant de redresser la tête.
  Onze heures. La charrette s'ébranle en grinçant. La précède, à cheval, l'épée au poing, le comédien Grammont qui commande l'escorte des gendarmes. Son rôle lui est assez familier. Plusieurs fois il en a joué de semblables au théâtre du Marais.

  Assise du côté opposé au sens de la marche, Marie-Antoinette est flanquée à sa gauche de l'abbé Girard qui ne dit mot, en à sa droite du bourreau, tenant d'une main son tricorne, de l'autre la corde qui lie les bras de la reine.
  Oublieux de ses amours comme de ses haines, Paris regarde passer avec indifférence le lugubre convoie. Voudrait-il, il est vrai, manifester trop bruyamment sa pitié, les trente mille soldats disposés sur le parcours de la voiture suffiraient à l'en empêcher. Toutes les mesures sont prises et bien prises ! Une fois de plus la police républicaine a su réduire à l'impuissance ceux des fidèles de la reine qui projetaient encore de la sauver.

  Les compagnons du perruquier Basset sont bien venus au rendez-vous qui leur avait été assigné. Mais, alors qu'ils espéraient êtres cinq cents, à peine s'ils se sont retrouvés une soixantaine; quelques petits commerçants et ouvriers de la section des Arcis, cinquante-deux volontaires du village de Vanves... Aujourd'hui, comme au 21 janvier, les agents du Comité ont dispersé les conjurés avant même qu'ils aient pu se rassembler.
  En vain quelques courageux vont-ils élever au-dessus de leur tête leur signe de ralliement : une petite carte portant un cœur entouré de l'inscription Vive Louis XVII, roi de France ! Nul ne répondra à cet appel muet.
Devant leur petit nombre, ils finiront par prendre peur. La journée ne se terminera pas sans que plusieurs d'entre aux soient emprisonnés.

  C'est donc dans une solitude totale que s'achève pour Marie-Antoinette cette ultime « promenade », si différente de ses glorieuses sorties d'autrefois lorsqu'elle se rendait à l'Opéra dans son carrosse bleu et argent, attelé de huit chevaux, tandis que le canon des Invalides tirait des salves et que les gardes du corps, au baudrier doré, caracolaient sur le pavé jonché de fleurs des champs.
  Quels ont du êtres les sentiments de la reine ce matin là, trainée dans Paris comme un vulgaire paquet sur une charrette à détritus... Combien a dû être déchirante, pour cette mère attentive, la pensée de ses enfants bientôt orphelins, et en particulier celle du petit Louis XVII, son fils, qui ignore tout de ce qui se passe et qui vit un véritable Calvaire entre les mains du jacobin Simon.

  D'une lenteur imprévisible, le funèbre voyage se poursuit parmi les cahots de la voiture qui tressaute sur le pavé inégal. A l'entrée de la rue Saint-Honoré, des « patriotes » patentés se croient obligés de manifester leur opinion par des cris de haine qui montent vers une condamnée absente et comme insensible.
  Elle ne se ressaisira un moment qu'en longeant le Palais-Royal. C'était là qu'avait habité le duc d'Orléans, l'homme en qui elle avait vu, dès le premier jour, le responsable de sa chute. Un geste de colère lui échappera, qui la tirera un instant de l'inconscience hébétée où elle essayait de se chercher un refuge.

  Demain, le Père Duchesne en témoignera : Quelle différence, écrira Hébert, de ces moments de vengeance à ces moments de badauderie où tous les Français n'avaient pas assez d'yeux pour admirer leur dauphine ! Mais il croira devoir ajouter : La gueuse, au surplus, a été audacieuse et insolente jusqu'au bout.

Aux abords des Tuileries, le cortège piétine un instant pour laisser passer un gros de cavaliers qui doit couvrir l'échafaud dans la direction du Cours-la-Reine. Émergeant de la brume qui commence à se dissiper, la façade du château apparaît derrière la grille en partie abattue le matin du 10 août.

  D'un mouvement instinctif, la reine a tourné la tête du côté gauche : dans cet appartement, qui donne sur le jardin, elle a eu ses plus longs entretiens avec Fersen, dans cet autre, qui regarde la cour, Bertrand de Mollevile exposa un projet qui la séduisit mais font le roi ne voulut pas.

  Ici logeait le dauphin, et c'est cette terrasse qu'elle dut traverser sous les huées pour se rendre à l'Assemblée le jour où le Trône fut renversé.

  Les clameurs injurieuses se sont tues. En proie à on ne sait quelle obscure inquiétude, les autorités ont voulu empêcher les gens de se mettre aux fenêtres. Mais tout le long du parcours le silence qui a régné le plus souvent a tenu lieu de respect.

  A un moment, même, quelques cris ont été poussés qui furent peut-être, il est vrai, faussement interprétés :

  – A bas les chapeaux !
  Croyant à un mot d'ordre, les citoyens se sont découverts.
  Prudhomme, observateur assez véridique, qui a décrit la scène dans ses Révolutions de Paris, pourra conclure : Rue Saint-Honoré, où la foule était la plus dense, il y eut des battements de mains à certains endroits, mais en général on parut oublier tous les maux causés à la France par cette femme pour ne penser qu'à sa situation actuelle.

L'ignominieuse exposition publique touche d'ailleurs à sa fin. On n'avance plus que lentement, car la multitude, débordant de partout, a déconcerté un instant le service d'ordre. Et soudain Marie-Antoinette paraît surprise : devant l'arcade qui aboutit au passage conduisant au Club des jacobins s'étale en gros caractères une inscription qui a dû lui sembler énigmatique :

  Atelier d'armes républicaine pour foudroyer les tyrans.

Pour la première fois depuis qu'elle a quitté la Conciergerie, elle interroge l'abbé Girard qui fait tout le parcours en silence, tenant dans ses mains jointes un petit crucifix d'ivoire. Mais, imitant Santerre lors que l'exécution de Louis XVI, Grammont prétend étouffer la voix de la condamnée :
  – La voilà, l'infâme Antoinette ! hurle-t-il en brandissant son épée. Elle est foutue !
  La reine ne saura jamais ce que signifie l'étrange enseigne...
  Midi sonne. Noire de monde, la place de la Révolution est en vue. On descend la rue Royale qui aboutit directement à la guillotine dont on distingue les bras levés et le triangle d'acier fixé tout en haut dans sa rainure. Encore quelques tours de roues et le but est atteint.
  
  C'est avec une hâte surprenante que Marie-Antoinette gravit l'échelle, à la bravade, raconte un témoin, et si vite qu'elle en perd un de ses petits souliers couleur prunelle. Mais, comme en arrivant sur la plate-forme elle a mis le pied par mégarde sur celui du bourreau :
  – Monsieur, a-t-elle dit, je vous demande pardon, je ne l'ai pas fait exprès.
  Les aides la saisissent. Pour éviter qu'ils ne touche à sa coiffure, elle a encore la présence d'esprit de faire d'une secousse sauter son bonnet. Puis elle s'abandonne, les yeux fermés. On l'entraîne. On l'attache sur la planche de la bascule. Que de lenteur méthodique dans cette hâte ! Un bruit sourd se fait entendre...

  Un aide de Sanson présente au peuple qui acclame la République la tête d'où le sang ruisselle et tombe à grosses gouttes sur les spectateurs les plus rapprochés. Quelques femmes essuient leurs larmes. D'autres, plus nombreuses, qui semblent ivres, dansent la Carmagnole autour de l'échafaud d'où la foule commence à se retirer. Le ciel se charge de lourds nuages que le vent, soudain calmé, ne parvient plus à dissiper.












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