samedi 19 mars 2011

La Belle Saison





       L'habitant des campagnes n'a pas le temps de se créer des objets de plaisirs ; mais comme il a le goût des choses simples, son âme est ouverte au sentiment des biens que la nature met d'elle-même à notre portée et qui n'ont pas l'inconvénient de ceux que notre fantaisie invente ; lesquels ne nous plaisent ordinairement que dans le moment de leur première nouveauté, après quoi on y devient indifférent et l'on en désire d'autres, parce que la fantaisie est inconstante. Le goût des biens naturels, ayant plus de stabilité, convient dans la condition de l'homme qui n'a pas le loisir d'être inconstant. La nature qui les produit, nous les rend toujours nouveaux : à mesure qu'elle les fait renaître, elle renouvelle en nous le plaisir d'en jouir : on ne s'en lasse jamais.

       La belle saison appelle le cultivateur aux champs. Il fait doux, le ciel est pur ; les ruisseaux recommencent à couler en murmurant du pied des montagnes ; les premières fleurs sont venues sur le bord des chemins. On entend les oiseaux chanter dans les bois sous les feuilles nouvelles. L'air est rempli du bourdonnement de mille insectes joyeux qui viennent de naître. Cette vive douceur du temps qui dans la jeunesse de l'année redonne la vie à toutes les choses, qui excite la venue des plantes, qui réveille les concerts des oiseaux, qui sèment les campagnes de papillons et d'abeilles, anime aussi les hommes à l'ouvrage, et leur rend le travail agréable.

       On prépare les outils pour la moissons prochaine. C'est le travail du père de famille et de ses fils. Les femmes sont occupées au village à faire les jardins. La mère, qui connaît le vrai prix des choses, prend soin des plantes utiles pour le ménage ; la jeune fille aide sa mère, mais elle réserve de la place pour quelques fleurs, pour des violettes le long de la haie, pour des marguerites en bordure des deux côtés des allées, pour des œillets de distance en distance parmi les marguerites. L'été elle viendra les arroser le matin et le soir. Le Dimanche, sa toilette finie, elle y cueillera un bouquet pour l'ajouter à sa simple parure. Sa mère la voyant dans cette occupation se rappellera ses jeunes années, et sera touchée de ce souvenir. La vieillesse des parents refleurit dans la jeunesse de leurs fils et de leurs filles.

       Les troupeaux sont ramenés aux pâturages. Les bergers les conduisent dans les clairières des bois, le long des lacs au fond des vallées solitaires. Leur vie passée dans les champs est un continuel entretien avec la nature qui leur apprend ses secrets sans qu'ils aient besoin d'étude. La louange de Celui qui fit la terre et le ciel se forme spontanément sur leurs bouches ; la contemplation de la Création et le contact avec celle-ci est une école sûre de l'oraison. En regardant paître leur troupeau, ils s'instruisent de ses instincts ; ils connaissent bientôt les pâturages préférés, les frais ruisseaux, les endroits abrités qui lui plaisent. Les propriétés des plantes ne leur sont pas cachées : ils distinguent les moments de leur naissance, les lieux favorables pour qu'elles se développent heureusement ; celles qui aiment le bord des eaux, celles qui viennent mieux sur le penchant aride des collines, celles qui croissent plutôt à l'ombre, dans le fond humide des plaines. La forêt n'a pas de mystères pour eux ; ils y connaissent les sentiers perdus, la grotte fraîche pour l'été, la source cachée sous le feuillage, les places où viennent les fraises, celles des framboisiers ; ils savent sur quels arbres les différentes espèces d'oiseaux aiment à suspendre leurs nids. Il n'arrive point de changement dans la température qu'ils ne l'aient pressenti à l'avance. Le cours des astres, la direction des vents, les habitudes des saisons, les signes annonçant le calme ou l'orage leur sont connus ; ils peuvent fixer la durée de la pluie et du beau temps. Ils se servent de ces connaissances pour rassembler leurs bêtes sous un abri ou le laisser épars dans les près. La solitude, le silence des lieux, la méditation des choses de la nature les rend graves et réfléchis. Leurs chants, que l'on entend de loin dans les bois, dans les pâturages désert, remplissent l'âme d'une mélancolie douce et d'un sentiment sérieux.



       Cependant les herbes sont déjà hautes dans la prairie. La bonne odeur qu'elles répandent au loin annonce qu'elles sont à leur maturité, et qu'il est temps de les couper. On part dès le point du jour; les hommes avec la faux sur l'épaule, les femmes avec le râteau. L'herbe est coupée et étendue sur le sol pour qu'elle sèche à l'air et au soleil. Lorsqu'il est près de midi, le dîner est apporté de la maison. Les champs sont traversés par un ruisseau qu'ombragent des saules. C'est là que l'on va s'asseoir en cercle. Après la bénédiction du pain par le père de famille, les joyeux propos commencent. La gaieté de tous les convives anime le repas, et donne du goût aux mets simples qui le composent. Le dîner fini, chacun choisit sa place, et va se reposer à l'ombre des arbres, en attendant l'heure de reprendre le travail. Parmi les autres ouvriers, le jeune homme le goûte pas le repose. Le printemps venu, son cœur s'est ouvert à des sentiments nouveaux, il en est tout rempli et ne peut les contenir ; il s'en va seul à l'écart, et chante quelque douce chanson qu'il compose sur un air connu en allant et venant le long de la haie fleurie. La poésie est une une fleur des champs que l'on cultive à la ville, mais qui naît au village. On se remet au travail jusqu'à la nuit. Alors le foin est chargé sur une voiture qui a été amenée du village, et l'on quitte le champ où l'on a passé la journée. Le soleil s'est couché derrière les montagnes ; à l'horizon opposé la lune commence à se montrer dans le ciel bleu ; la vive clarté de ses rayons blanchit le haut des monts, le sommet des arbres, le clocher et le faîte des maison du hameau. Du côté où elle s'est levée le vallon est dans l'ombre, l'autre côté est éclairé de sa lumière. Aucun souffle de vent ne trouble l'espace. On voit la fumée qui monte des cheminées s'élever en colonnes droites dans l'air pur. C'est l'heure où tout est silencieux dans la nature, les eaux, les bois, la campagne. On n'entend que le bruit des chars gémissant dans les chemins creux, les pas des travailleurs qui les suivent, leurs chants et ceux des bergers qui reviennent des pâturages ; ces chants qui semblent se répondre des différents points  de la vallée s'épandent en notes sonores dans les airs avec les bonnes odeurs qui s'élèvent des prairies.

       Il faudrait dire maintenant les moissons, la récolte des fruits en automne, les fêtes du Dimanche, les promenades au bois pendant la journée, les danses le soir sous l'auvent des maison. Beautés et harmonie de la nature, simplicité des mœurs, occupations douces de la vie des champs, vous donnez à ceux qui vous goûtent des plaisirs qui embellissent l'existence terrestre et l'oriente vers le Ciel ; vous n'êtes pas comme ces joies fausses et méprisables que procurent la fortune, les mondanités, les honneurs ou le jeu ; ces jouissances malhonnêtes mêlées d'orgueil brouillent le cœurs au lieu que votre pureté lui permettent de s'élever vers le Créateur de toutes choses.







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